CHAPITRE 6
Le César chinois
Lorsque, en 246 avant J.‑C., le fondateur du césarisme chinois, qui ne s’appelait encore que le roi Tcheng, monta sur le trône du Ts’in, il n’avait que treize ans.
(...) Il avait vingt‑cinq ans lorsque, en 234, un de ses généraux, vainqueur du royaume rival de Tchao, dans l’actuel Chan‑si, lui offrit le trophée colossal de 100.000 têtes coupées. Les autres princes se sentirent perdus. Seul l’assassinat du jeune roi pouvait les sauver. L’un d’eux organisa le meurtre (la. scène nous a été transmise par un bas‑relief du Chan‑tong, estampé par la mission Chavannes), mais le roi échappa et ce fut l’assassin qui fut coupé en morceaux. Dès lors les conquêtes se succédèrent à une allure foudroyante. Entre 230 et 221 tous les autres royaumes chinois, correspondant aux provinces actuelles du Chan‑si et du Ho‑nan, du Ho‑pei et du Chan‑tong, du Hou‑pei et du Ngan‑houei, furent successivement annexés. En 221 toute la Chine de ce temps était unifiée sous l’autorité du roi de Ts’in. Celui-ci prit le titre impérial d’Auguste Seigneur (Houang‑ti) et c’est sous ce nom de « Premier Auguste Seigneur Ts’in », en chinois Ts’in Che Houang‑ti, qu’il est connu dans l’histoire.
(...)
L’unification territoriale de la Chine par Che Houang‑ti fut suivie d’un travail d’unification politique et sociale, intellectuelle aussi, qui n’est pas la partie la moins remarquable de son couvre. Personnalité hors de pair, le César chinois ne fut pas seulement un conquérant, mais aussi un administrateur de génie.
(...) Son ministre Li Sseu unifia les caractères d’écriture, réforme d’un importance capitale pour l’avenir en raison des différences de dialectes à travers lesquels l’identité de l’écriture est souvent, de Pékin à Canton, le seul truchement commun. De même « il unifia les lois et les règles, les mesures de pesanteur et les mesures de longueur ; les chars eurent des essieux de dimensions identiques ».
(...)
A l’instigation de son ministre Li Sseu, le César chinois, en 213 avant J.‑C., ordonna la destruction des livres classiques, notamment de tous ceux de l’école confucéenne, mesure qui à travers les siècles a voué sa mémoire à l’exécration des lettrés.
(...)En 215 Che Houang‑ti fit réunir en une ligne de défense continue ces anciens éléments de fortification. Ce fut la Grande Muraille (...).
Jusqu’à cette époque le territoire chinois ne comprenait, on l’a vu, que le bassin du Fleuve Jaune et la vallée du Yang‑tseu. La Chine méridionale actuelle, notamment la région cantonaise, restait allogène et barbare. En 214 Che Houang‑ti y envoya une armée qui occupa Canton et commença la sinisation du pays. A cet effet l’empereur fit faire des rafles de gens sans aveu et les envoya peupler les nouvelles provinces, depuis l’embouchure du Yang‑tseu jusqu’à Canton. L’histoire de la colonisation européenne nous montrerait maintes fois appliqué ce système de la « peuplade » au moyen de convicts.
Le César chinois mourut en 210 avant J.‑C. Il fut enterré, conformément à sa volonté, près du village actuel de Sin‑fong, au Chen‑si, sous un tumulus énorme, haut de 48 mètres au‑dessus de l’embase, de près de 60 au‑dessus de la limite antérieure des travaux de terrassement, véritable montagne d’un demi-million de mètres cubes, construite de main d’homme. On mura dans sa tombe une partie de ses femmes et les ouvriers qui y avaient transporté ses trésors.