Justice pour le concombre !
| 01.06.11 | 13h04
Le concombre espagnol a moins d'amis que DSK. Depuis qu'il a été accusé de porter une bactérie responsable de plusieurs morts, personne n'est venu dire sur un plateau de télévision que ça ne lui ressemblait pas. Certes, la police allemande des fruits et légumes n'a trimbalé aucune cucurbitacée menottée devant les flashes des photographes, mais elle a été plutôt prompte à désigner le concombre importé d'Espagne comme le galeux, le (mal) pelé de l'affaire. Or le doute s'est installé et, dans l'attente d'un nouveau test - pas d'ADN, mais c'est tout comme -, force est de constater que les médias ont encore oublié de respecter la présomption d'innocence.
C'est un ouvrier espagnol menacé de chômage technique qui le rappelle à un reporter de France 2, venu constater les dégâts dans les serres ibères :
"Les Allemands ont fait n'importe quoi. Pour accuser, il faut des preuves !" Et du coup, dans les journaux de 20 heures, mardi 31 mai, on a assisté à une démonstration générale de croquage de concombres en Espagne : le directeur administratif d'une société d'exportation, un petit producteur et même la ministre de l'agriculture de la région d'Andalousie. Tel un ténor du barreau new-yorkais, elle explique devant une multitude de micros que
"personne n'a de preuve scientifique, ni l'Allemagne ni l'Union européenne". A l'image suivante, la ministre allemande de la santé, raide comme un procureur, déclare que l'enquête continue, qu'il s'est peut-être passé quelque chose de pas très hygiénique au moment du transport...
Bref, en attendant la prochaine comparution de
Dominique Strauss-Kahn devant la justice américaine, la télévision française tient un nouveau feuilleton. Mardi soir sur France 2, en ouvrant son journal,
David Pujadas ne lésine ni sur les mots -
"un tueur en série met en échec les polices scientifiques et (...)
fait trembler l'Europe" -, ni sur les images - une photo énorme de bactérie énormément grossie est suspendue au-dessus de sa tête, autant dire au-dessus de nos assiettes.
Sur France 5,
Yves Calvi le dit franchement :
"Depuis quelques jours, le concombre a remplacé DSK dans les conversations à la cantine." Dans son émission "C dans l'air", politologues, juristes et féministes ont dû céder la place et la parole aux toxicologues et aux nutritionnistes. Eux n'ont pas l'air inquiet et répètent les gestes qui sauvent : éplucher les légumes, se laver les mains. Allez dire ça aux Allemands qui font leur marché la peur au ventre, au point d'oublier d'autres risques -
"Les champignons, ça va, mais le reste je n'en prends pas", témoigne l'un d'eux sur France 2. Essayez encore de faire manger des légumes aux enfants ! Et préparez-vous à calmer les producteurs français qui, après leurs collègues espagnols, prévoient un massacre dans les cageots. Non, décidément, le concombre n'est plus une grosse légume.
Isabelle Talès (C'est tout vu !)