Hello Kimsang,
J'entends bien ta remarque. Je me retourne et je regarde autour de moi et tout le monde me regarde
.
En réalité, ce n'est pas de requins que j'ai peur, mais pour tout te dire de moutons. Tels les lemmings, tout le monde se met aujourd'hui plus ou moins à jouer en bourse, par courtier interposé, ou par assurance vie ou autre, ou même en direct. Tels les lemmings, leur destin à très court terme dépend plus de circonstances et du talent des courtiers. Grand bien leur fasse, c'est leur destin, et dans la vision moderne du monde, à chacun le sien et ils sont des individus libres. Ce n'est pas ça qui me dérange.
Mais voilà, notre sort à tous dépend de ce qui se passe dans ce secteur financier. Sans malice de personne, plutôt par manque de malice ou d'esprit de communauté.
100% de l'argent dépensé en 2008 achètera 100% de la production de 2008 de biens et services, et la croissance de la masse monétaire mondiale n'augmente pas la capacité de production des biens et services, donc plus les uns s'enrichissent par rapport aux autres, plus ils commandent une part importante de la production mondiale de biens et services, réduisant d'autant la capacité d'achat des autres (typiquement, les gens qui dépendent de leur travail pour vivre). En ce sens, si on ne lèse personne spécifiquement quand on gagne à la bourse, on lèse tout le monde un petit peu, en dépréciant la valeur de l'argent. C'est égoïste, donc immoral comme disait à juste titre Abgech ailleurs. Si on ne dépense pas cette richesse financière tout de suite, on a pris l'option de le faire à l'avenir, faisant ainsi peser une menace tant sur la capacité d'achat des autres que sur la valeur même des biens et services en général.
De plus, en jouant à la bourse, on encourage les entreprises cotées à une croissance qui n'est pas bonne pour nous, et même probablement pas pour elles, l'économie d'une entreprise étant optimale pour une taille donnée (c'est la principale différence qu'on enseigne entre la micro et la macro-économie). L'incitation pour les chefs d'entreprises est donc néfaste à terme, sans même parler des incitations à rationaliser la production en allant produire en Chine. Voyez le marasme ressenti en France alors que la France n'a jamais eu une balance commerciale aussi bonne! À qui la faute? dirait NVTL. Je ne dis rien. Mais suivez mon regard.
Enfin, la croissance, même au niveau mondial, est une aberration. La consommation des ressources augmente en fonction de la croissance du PIB mondial, or la Terre n'a qu'une production limitée. Bien sur on ne parle même pas des métaux, de tout ce qui se mine, et encore moins du pétrole. Consommer plus que ce que produit la Terre revient à épuiser le capital écologique, ce que nous faisons à une vitesse vertigineuse. Aujourd'hui, selon l'UNEP (le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, qui n'est pas une bande de rigolos à cheveux longs qui embrassent les arbres), on consomme plus de 5 fois la production de la Terre, ce qui revient à consommer cinq fois les dividendes du portefeuille, pour parler dans un langage que les financiers comprennent, et donc à éroder ce capital).
À 3% par an, l'humanité double sa consommation de ressources en 25 ans, et les 25 dernières années ont consommé plus que toute l'histoire de l'humanité avant la révolution industrielle (facile!). On ne sait pas combien de temps avant que tout ça s'effondre, mais on sait une chose: quand ça arrivera, ça arrivera vite.
La croissance, donc, c'est mal. Encourager la croissance purement en mettant sous le cou des entrepreneurs le couteau du price/earning ratio, c'est mal. C'est sans doute ça le plus grand mal que nous fait la bourse.
C'est ça aussi le problème que j'ai avec Sim Sity, Bob. Sim City, c'est super pour recoller "à la réalité" de la gestion d'une ville, sauf pour deux choses. D'une part, pour mettre ça derrière nous, tu
dis en essence que ça aide à recoller avec la réalité quelles que soit tes bonnes intentions de faire de l'écologie. Bon, soyons clair: les règles de Sim City sont un modèle simple qui se base sur les cités existantes et qui amène à en reproduire l'esprit; des règles simples qui disent qu'il faut 5% du PIB pour une police afin de ne pas avoir de crime etc... Évidemment, la marge de manœuvre est relativement faible: la réalité à laquelle on recolle n'est que celle qu'ont établis les concepteurs de ce jeu au demeurant très bon. D'autre part, et c'est là le drame, le jeu est condamné à mes yeux dès le départ puisqu'il s'agit de croissance dès les prémisses du jeu.
Mais alors dirait NVTL, pourquoi aucun pays ne refuse-t'il une bourse? Tous les pays riches en ont une, et nombreux pays pauvres aussi, même des pays socialistes comme le Vietnam. C'est simple: ils sont accroc et je ne peux pas leur en vouloir. Ça se passe sur deux plans.
Premier plan dans le domaine du choix public: les décideurs pour quelque pays que ce soit ont tendance à être les riches du pays, qui ont un intérêt personnel à faire fructifier leurs finances. Facile de convaincre le peuple de ce qui est leur bien. Si vous n'en êtes pas surs, lisez Thatcher 10 minutes, c'est plus sur qu'une douche froide. (NVTL, qui dit plus haut "
j’ai l’habitude de voir des choses plus concrètes et plus proches de la réalité." devait parler de cette réalité-là, la cynique, celle du real-politik, et non pas du bien ou du mal, questions naïves dont tout le monde se moque, bien sur).
Deuxième plan dans le domaine de la politique internationale: si les plus riches commandent une fraction plus importante du pouvoir d'achat des ressources, biens et services mondiaux, et s'ils acquièrent cette capacité à coup de bourse (et donc de dépréciation de l'argent des autres), aucun chef d'état n'est prêt à prendre du retard par rapport aux autres sous le prétexte d'être "propre" (de toutes les manières, peu partageront explicitement mon point de vue), et du coup ils se lancent dans l'aventure des marchés financiers. Chacun veut que les siens s'en sortent sur le haut du pavé. Ça se défend: sur le Titanic, il n'y avait de radeaux de sauvetage que pour les passagers de première classe.
Je ne suis pas un saint. J'ai travaillé dans le pétrole et (pire) dans l'assurance. J'ai eu une assurance vie. Aujourd'hui, je coupe du bois pour mettre des gros Diesel dedans et faire venir des touristes autour du monde en avion, alors je n'ai de reproche à faire à personne. Aussi je n'en fais pas. Aucun reproche. Vous voulez rester à surfer sur les cours de la bourse, grand bien vous fasse. Si vous seul arrêtiez, ça ne nous ferait pas grand bien. Il faudrait un sursaut bien plus grand, bien plus profond pour que ça change. Mais ne venez pas me le mettre sous le nez ou le démystifier pour qui que ce soit.
NVTL, tu as été la cible bien involontaire de certains de mes mots, et je t'en fais mes excuses. Quel que soit son métier, chacun développe un raisonnement et une fierté qui lui donne une image de lui-même avec laquelle vivre. Je sais, je te dis, j'ai été assureur (et pas agent, crois-moi).
Ouvrons simplement les yeux et acceptons nos paradoxes.