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Discussion: [Le Monde.fr] Emmanuelle Saada: la question métisse, tout en nuances

  1. #1
    Le Việt Nam est fier de toi Avatar de robin des bois
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    Par défaut [Le Monde.fr] Emmanuelle Saada: la question métisse, tout en nuances

    " Dans un impressionnant travail de recherche, Emmanuelle Saada analyse le sort réservé par la République à cette "catégorie" qui sapait la logique même de la colonisation."

    "Les enfants de la colonie.
    Les métis de l'Empire français entre sujétion et citoyenneté"

    d'Emmanuelle Saada

    La Découverte,336p,24 e

    http://www.lemonde.fr/web/article/0,...-920080,0.html

    ( dans le supplément du Monde des Livres, cet article est accompagné d'une belle photo d'une classe d'école, légendée comme suit:

    "en 1962, à Sainte-Livrade- du-Lot, au temps où le village accueillait des enfants venus de l'ex-Indochine"

    il doit y avoir moyen d'y accéder directement.. mais j'ai oublié le lien !!!)

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  3. #2
    Avatar de mike
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    Par défaut

    Merci pour cette info..

    je me permet de faire un copier-coller de l'article avant qu'il ne soit plus accessible :

    Emmanuelle Saada : la question métisse, tout en nuances

    C'est sans doute à leurs marges que se définissent et se fixent l'identité, l'appartenance, voire le droit. Les réactions au "problème métis" qu'analyse si finement l'historienne et sociologue Emmanuelle Saada retiennent donc l'intérêt non pas tant pour le nombre de métis à l'échelle des colonies françaises (chiffres flous, au demeurant), mais bien parce que la catégorie même semait le trouble dans l'ordre colonial.En effet, les métis ont longtemps brouillé les repères, sapant la logique fondatrice et justificatrice de la colonisation. Leur existence même remettait notamment en question les binômes colonisateur-colonisé et sujet-citoyen.
    Qu'est-ce précisément qu'un "métis" ? Ou plutôt, que fut-ce, car comme l'explique Emmanuelle Saada, la catégorie se dissout après le "rapatriement" massif de métis avec la décolonisation. Avant de devenir un "problème angoissant" pour l'administration coloniale et les organisations caritatives, les métis constituaient une catégorie portant un double stigmate physique et social.
    La grande majorité des métis aux colonies étaient issus de père français et de mère "indigène", le père français restant souvent inconnu. Le cas inverse, d'une mère française, se posa pendant la Grande Guerre notamment, mais surtout en métropole.
    Il s'agit donc en grande partie d'une "affaire d'hommes", comme le fait apparaître l'auteur, les enjeux étant la transmission de la citoyenneté par le biais paternel, et la reconnaissance ou non d'un enfant par un père colonisateur. Les termes ont parfois changé - "Eurasien" se substituant à "métis" - mais les enjeux demeurent : l'origine, l'identité, les droits.
    Avant le remarquable décret du 8 novembre 1928, exhumé des archives par Emmanuelle Saada, les métis de père inconnu étaient classés indigènes et sujets. Or ce décret, paru au Journal officiel de l'Indochine française en 1928, permit une reconnaissance du métis comme Français. Intervinrent alors des critères de "francité", et surtout le terme de "race" pourtant proscrit - ou du moins le croyait-on - du lexique juridique français avant 1940.
    Nous sommes devant un cas tout à fait révélateur. Ici, des arguments basés sur la race se voyaient en effet invoqués à des fins d'inclusion, et non d'exclusion. En outre, l'auteur met en relief la complexité des notions raciales, en explorant la plasticité de la conception de "race" - biologique et culturelle à la fois.
    En effet, face à l'inclassable, administrateurs et juristes puisèrent dans un arsenal qui dépassait de très loin les variations de couleur de peau. Politesse, standing, sports, habitudes, séjours à la mer et à la montagne : tous ces éléments furent pris en compte dans des cas de naturalisation de Vietnamiens souhaitant devenir français.
    La même sélection, les mêmes critères entrèrent en considération dans les contentieux surgis à propos de reconnaissances de métis - reconnaissances parfois frauduleuses. Emmanuelle Saada s'interroge sur la raison des craintes profondes quant aux reconnaissances dites douteuses. Les spécialistes invoquaient une menace au "bon ordre social" ou encore une atteinte à la famille. Le cas des métis permet en somme de braquer l'objectif sur la société coloniale là où elle se forgeait et se fracturait ; il révèle ainsi les forces tectoniques de la colonisation.
    Dans la logique coloniale, le texte de 1928 devait non pas punir, mais bien secourir les métis en les extirpant d'un "milieu malsain" qui les aurait conduits à basculer du côté indigène de leur identité à double tranchant. Ce sauvetage pouvait s'opérer de différentes manières, la plus radicale étant l'extraction pure et simple du métis de la colonie, pour l'envoyer en France métropolitaine. On allait même jusqu'à débattre des régions les plus adaptées à ce flux migratoire, la Provence étant curieusement considérée trop "cigale"...
    Dans chacun de ces cas, on avait affaire à une tentative de façonnement néo-lamarckien, comme l'indique l'auteur. Qu'ils soient administrateurs, philanthropes ou religieux, les décideurs croyaient fermement en ce potentiel d'acclimatement identitaire. Dès 1917, la Société de protection de l'enfance se prononçait d'ailleurs comme "maître absolu de ce modelage" des métis en petits Français.
    L'étude aborde l'empire colonial tout entier, mais se focalise sur l'Indochine, en raison en partie de l'asymétrie des sexes dans sa communauté européenne, particulièrement frappante avant 1900. Emmanuelle Saada relève par ailleurs un véritable modèle indochinois : ainsi le gouverneur général de l'Afrique occidentale française (AOF) s'inspira-t-il en 1934 de mesures prises en Indochine en matière de politique métisse. On regrettera cependant que l'empire colonial plus ancien - les vieilles colonies, où la question métisse se posait autrement, mais aussi l'importante communauté métisse franco-amérindienne - n'aient pas retenu l'intérêt de l'auteur.
    Agents colonisateurs hors pair ou auxiliaires pour certains, les métis demeuraient néanmoins troublants de par leur altérité. Où et comment les comptabiliser dans des recensements coloniaux (en Indochine, sous Vichy, on eut recours à des fichiers individuels) ? Les métis mettaient par ailleurs en lumière les incohérences et les multiples exceptions au sein de l'empire. Une note en AOF insistait, par exemple, sur l'injustice de voir les Africains des "quatre communes" du Sénégal reconnus comme citoyens, alors même que les métis du reste de la colonie ne l'étaient pas.
    L'ouvrage d'Emmanuelle Saada est riche en témoignages. Débrouillardise et solidarité traversant le fossé colonial transparaissent dans les lettres fort émouvantes, envoyées à l'administration de la part de mères, de pères présumés, et de métis eux-mêmes.
    L'auteur conjugue lisibilité et érudition. Elle allie aussi les approches sociologique, historique et juridique. Les fondements de cet impressionnant travail de recherche sont solides, Emmanuelle Saada puisant dans de nombreuses archives vietnamiennes et françaises. Elle examine les liens entre juristes, scientifiques et administrateurs coloniaux. En outre, elle prend le droit au sérieux, ce qui lui permet d'appréhender et d'analyser le jeu crucial entre droit, politique et pratique aux colonies.
    Voilà un heureux constat, surtout dans un contexte actuel de polarisation constante et parfois caricaturale (dans les deux sens) des enjeux et des débats entourant la question coloniale. Heureux constat aussi lorsqu'on tient compte du virage récent qui s'est opéré vers une histoire des représentations coloniales détachée de celles des pratiques et du droit. Rien de tel dans cette étude nuancée et admirablement conduite.
    A la lecture de cet ouvrage, on sera enfin amené à réexaminer l'idée d'un modèle républicain singulier et monolithique, tout comme l'idée que Vichy ait pu être le seul régime en France à avoir tenu compte de la notion de "race". Cette étude aidera également à repenser les catégories souvent héritées de l'époque coloniale, et à manier avec précaution l'idéal d'une "République métissée".

    Source : http://www.lemonde.fr/

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