Bonsoir chers amis,
Pour l'anniversaire de mon premier mois parmi vous, je viens vous faire partager ma petite histoire, après avoir parcouru tout le forum et lu la plupart de vos messages. Evidemment, ceux regroupés dans cette rubrique sont émouvants parce qu'ils parlent de la souffrance de ne pas connaître un parent ou les deux, d'avoir été adopté et déraciné, d'avoir été abandonné.
Certains ont pu retrouver leur famille biologique au Vietnam et ont vu leurs parents adoptifs réagir négativement (on comprend mieux la sévérité de la sélection des dossiers de demandes en France) mais tous ont été bien accueillis. Je suis étonnée, au passage, de la facilité avec laquelle des guides ont pu aider aux recherches.
J'ai même appris que, contrairement aux idées reçues, une famille pauvre du pays pouvait aider financièrement l'enfant retrouvé devenu adulte. Quant à l'attitude des vacanciers devant la pauvreté des habitants, elle manque, en effet souvent de tact, comme l'ont relevé des membres du forum : pourquoi refuser de prendre des cartes postales en échange d'argent ? C'est humilier l'enfant en lui donnant l'impression de lui faire l'aumône.
Pourquoi ne pas payer l'enfant placée comme bonne, mais la nourrir seulement ? Pourquoi ne pas reconnaître que l'on est plus riche et que l'on peut payer ? La pauvreté n'est pas une tare ou un vice ; l'argent circule : un jour on en a, le lendemain on peut très bien se retrouver sans. Les revers de fortune arrivent fréquemment et n'épargnent personne.
Personnellement, je n'ai pas été adoptée, mais mon sort aurait été peut-être plus heureux si je l'avais été par un couple qui me désirait. Or j'ai été désirée seulement par ma mère, qui m'a imposée à mon père, un fils de famille riche venu faire ses études en France et brutalement chef de famille. Elle a fait deux autres enfants avec lui croyant lui donner le sens des responsabilités...
Ce sont les adultes qui accordent de l'importance aux conditions matérielles ; il paraît que je dormais dans une valise. C'est ma mère qui en a souffert, pas moi. Mes premières années ont été imprégnées de vietnamien, ma langue maternelle ; quelle déception quand j'ai compris que tous ceux que j'appelais soeurs, frères, tantes, oncles n'étaient pas de ma famille !
Ma mère a demandé le divorce pour épouser un Français quand j'avais six ans ; j'ai revu mon père régulièrement au début, puis il a quitté la ville et nous avons correspondu un temps. Jusqu'à ce qu'il reparte à Saïgon en 1975, malheureusement pour lui car sa famille avait choisi le mauvais camp. Ma grand-mère m'a raconté qu'il m'avait écrit après que j'ai quitté la maison, et que ma mère avait répondu à ma place en refusant de l'aider à quitter le pays pour regroupement familial.
C'est ça, aussi, la mentalité vietnamienne : les parents décident pour les enfants, ne leur reconnaissant aucun droit, que des devoirs... J'ignore donc si mon père est vivant ou décédé, suite aux conditions de vie durant sa "rééducation". Il voulait aller au Canada ou aux Etats-Unis où avaient émigré les membres de sa famille.
Pourtant je n'ai pas le désir d'aller au Vietnam à sa recherche ni à celle des survivants de cette branche paternelle. Comme Methadrone, j'ai fondé ma propre famille et mon statut de parent a coupé le cordon ombilical. D'autre part, je suis persuadée que nous ne disposons pas que d'une seule vie, c'est pourquoi je ne suis pas désespérée.
Alors je pense aux adoptés et à ceux qui ressentent le besoin de connaître leurs parents biologiques ; je comprends qu'ils souffrent d'avoir été abandonnés, même pour leur bien, parce qu'ils ne peuvent pas s'aimer puisque leurs parents les ont rejetés, et cette incapacité de s'aimer constitue un boulet qui les empêche d'avancer dans la vie puisqu'il faut commencer par s'aimer soi-même pour aimer les autres. Quelque part, ils se sentent responsables, de même que les enfants de divorcés s'imaginent être responsables de la séparation de leurs parents.
Il faut pouvoir se dire qu'on est digne d'être aimé, et cela, on peut y arriver tout seul, par ses pensées et ses actes. Avec le temps, on rencontre des personnes qui nous aiment, en tant qu'être humain fait de défauts et de qualités. Un jour, il faut faire le deuil de l'enfant qui est en nous. Ne restez pas en situation de demande, placez-vous en position de donner.
Mon histoire a fait de moi quelqu'un sans liens familiaux ; avec les déménagements, j'ai perdu tous mes souvenirs, bijoux, photos. Je n'ai rien à vous montrer que d'actuel (je suppose que mon île grecque est hors-sujet, d'où l'absence de photos). Mon demi-frère s'occupe de notre mère, en France, ma soeur leur rend visite de temps en temps de Paris, mon frère cadet vit à Dubaï et je ne les vois jamais. Ils ne viennent pas me voir non plus. J'ai reçu une éducation très dure, en tant qu'aînée et j'ai eu le mauvais rôle de seconde maman. Parfois, il vaut mieux avoir des parents adoptifs qui font le maximum pour vous aider à démarrer dans la vie, et non le minimum, de mauvais coeur en plus : au lieu de faire Langues Orientales, j'ai dû me contenter d'un BTS de secrétariat, par exemple. Et encore, grâce à une bourse d'études, due à mon bon dossier scolaire...
Je comprends le mal-être des adoptés, mais voudrais leur faire passer le message suivant : regardez devant vous, malgré le passé douleureux ; pensez à la force de vie qui vous a fait naître malgré votre mère, si elle ne vous a pas désiré. Pensez à l'amour que vous pourrez donner lorsque vous aurez fait la paix avec le passé et avec vous-même.
Thu Huong -un peu longue et solennelle ce soir- mille excuses je vous prie-