Cela me rappelle mon premier voyage au Vietnam, en 1992. Nous avions fait une excursion de HCMV à Vung Tau. À cette époque, c'était encore, plus ou moins une expédition, les touristes étaient pratiquement inexistant.
Nous avions donc pris un bus public. Et là, il y avait un groupe d'ados, amérasiens qui lorsqu'ils ont constatés que je n'étais pas russe
ont commencé à nous parler, ma femme faisant office de traductrice (je suis vraiment un affreux: j'exploite en même temps les femmes et les pays sous-développé
). Leur seul et unique espoir: rejoindre les USA y retrouver leur père (riche bien évidemment) et avoir une belle vie. Et, à cette époque, les conditions de vie au Vietnam étaient très pénibles, les choses se sont beaucoup, beaucoup arrangées depuis.
Nous ne savions que faire (nous connaissons assez bien les USA pour y avoir de la famille et y avoir effectué plusieurs voyages):
1) Ne rien dire et les laisser à leurs rêves insensés ? C'était les renforcer dans l'idée qu'ils allaient quitter le Vietnam et de ce fait ils ne feraient aucune tentative de s'intégrer dans la société vietnamienne. Cette intégration était-elle possible, dans la mesure où ces jeunes la souhaitait ? Nous le pensions, même si, parfois, le racisme existe au Vietnam (il ne faut pas cacher la m* du chat). Mais nous étions persuadés que le Vietnam était à la croisée des chemins et qu'il allait se développer (la suite nous a donné raison) et que leur avenir serait sans doute bien meilleurs s'ils rejoignaient la société vietnamienne.
2) Leur parler des conditions de vie extrêmement dures aux USA ? Leur dire que les étatsuniens se moquaient totalement de leur existence. Que s'ils parvenaient à rejoindre les USA, ils allaient vivre une situation d'exclusion et de racisme dont ils n'avaient aucune idée. Que leurs pères (en admettant qu'ils les retrouvent et que celui-ci veuille bien, simplement, leur parler), vétérans du Vietnam, était, comme une grande partie de ceux-ci, une espèce de clochard rejeté par la société étatsunienne. Que les vétérans qui avaient pus se réintégrer, étaient sans doute mariés et se moquaient comme du tiers et du quart des éventuels rejetons qu'ils pouvaient avoir au Vietnam. Que dans le meilleur des cas, ils allaient végéter à travailler 12 à 15 heures par jour pour un salaire leur permettant tout juste de survivre. Et, dans le pire des cas, SDF et la manche dans une grande ville US pour les garçons, prostitution pour les filles.
Nous avons choisi la première solution: nous taire. Mais nous en conservons toujours un sentiment de malaise. Ce n'était pas vraiment honnête. De temps en temps, près de 14 ans après, nous en reparlons. Nous nous consolons en nous disant que si nous avions dit la vérité, ils ne nous auraient pas cru. Et s'ils nous avaient cru ? s'ils avaient abandonné leurs rêves et fait des efforts pour s'intégrer au Vietnam auraient-ils pu vraiment s'intégrer, auraient-ils pu mener une vie correcte ?
Nous pensons que oui. En acceptant la réalité, en voulant à tout prix construire leur vie au Vietnam, ils auraient sans doute réussi
À titre d'exemple, j'ai un beau-frère, vietnamien pur sucre, qui est parti comme "boat people", qui, ingénieur de formation, végète en Floride, travaille comme mécanicien en usine, est anxieux chaque vendredi au moment de recevoir son chèque pour savoir s'il va pouvoir revenir travailler le lundi, et cela depuis 25 ans. L'année dernière, mon beau-frère a fait un voyage au Vietnam, à HCMV, ses quinze jours de vacances annuelles (après 20 ans dans la même boite) y ont passé. Il en est revenu désespéré d'avoir quitté le Vietnam: tous ses camarades de promotion de l'école d'ingénieur, absolument tous, occupent des situations importantes, voires brillantes. Ils travaillent beaucoup, sans doute encore plus que mon beau-frère, mais ils mènent une vie au Vietnam dont mon beau-frère ne peut pas rêver en Floride.
Voilà, un long post, mais, nécessaire sans doute pour moi, comme tentative d'exorciser le malaise que je ressens par rapport à ma discussion avec ces jeunes amérasiens.