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DRL'économiste Liem Hoang-Ngoc, maître de conférences à l'université Paris-I.
Les leçons de la crise : "Il devient urgent en Europe de rééquilibrer le partage des revenus"
LEMONDE.FR | 30.10.08 | 15h59 •
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Jean claude : Quelles sont les lignes de forces pour l'avenir qui apparaissent en creux dans la crise en cours ?
Liem Hoang-Ngoc : Les marchés financiers se sont avérés défaillants. Les Etats et banques centrales ont dû massivement intervenir. Doit-on se contenter de socialiser sans contrepartie les dettes de jeu du système bancaire ou saisir l'aubaine de cette crise pour redéfinir le périmètre d'un pôle public financier stable qui permette le financement des priorités de politique industrielle. Tel est l'un des thèmes que doivent traiter les politiques publiques.
eon : Est-ce que cette crise est un camouflet à l'idéologie libérale ?
Liem Hoang-Ngoc : Oui.
Laurent : Peut-on mener une politique keynésienne en période de crise ?
Liem Hoang-Ngoc : Oui, c'est le principe même des politiques anticycliques que de permettre aux gouvernements de laisser filer les déficits en période de récession et d'affecter les recettes au désendettement lorsque le plein-emploi revient. Nous sommes aujourd'hui en récession. Le pacte de stabilité a de fait sauté lors du sommet du G4. Tout le débat porte alors sur l'affectation des marges de manoeuvre ainsi dégagées.
Les mesures fiscales du gouvernement s'imposaient-elles, ou aurait-on pu orienter ces 14 milliards par an vers des dépenses porteuses d'avenir : investissement, recherche, santé, éducation ? D'autre part, je fais observer que le déficit commercial est de 51 milliards, soit deux fois plus qu'en 1983... Cette politique aurait obligé Sarkozy à dévaluer bien plus que Mauroy si l'on était en 1983.
eon : Quel est selon vous LA mesure à prendre, avant toute autre, pour redresser la barque ?
Liem Hoang-Ngoc : Que l'Etat siège avec droit de vote dans le conseil d'administration des banques qu'il a recapitalisées.
Jeff : A qui profite la crise ? Où est l'argent ?
Liem Hoang-Ngoc : La crise ne profite pas aux salariés qui sont menacés par le ralentissement de l'activité. Les banques ont perdu beaucoup d'argent. Des centaines de milliards d'euros qui auraient pu financer l'économie réelle se sont évaporés. Belle efficacité du capitalisme financier !...
MBoumaza : Quels types de propositions, en dehors de la réglementation des paradis fiscaux, préconisez-vous pour enrayer la spéculation et ses dérives sans nuire au rôle fondamental des banques ?
Liem Hoang-Ngoc : Interdiction des paradis fiscaux ! Interdiction de la titrisation, qui n'existait que peu avant 1990, et retour à la réglementation bancaire.
juju74 : L'Etat peut-il être un actionnaire clairvoyant ? Sachant que les meilleurs des grandes écoles sont partis dans le privé et qu'il ne nous reste plus que les seconds couteaux.
Liem Hoang-Ngoc : Son horizon est en tout cas plus long que celui des hedge funds et des fonds de pension...
juju74 : La crise actuelle n'est-elle tout simplement pas due à une mauvaise repartition des richesses ?
Liem Hoang-Ngoc : Tout à fait juste. Le salaire médian ne progresse plus aux Etats-Unis (mais aussi chez les clones européens du modèle américain). Du coup, la croissance des années 2002-2006 n'a pu être tirée que par l'endettement des ménages modestes, tiré par le crédit hypothécaire. Il devient urgent en Europe de rééquilibrer le partage des revenus si l'on veut éviter la spirale de l'endettement privé dont on mesure aujourd'hui les effets pervers.
hibou_garni : En quoi la crise est-elle un camouflet pour les libéraux ? Eux prétendent que c'est le trop-plein de régulation qui a conduit à la crise (c'est ce que Madelin dit)...
Liem Hoang-Ngoc : Les libéraux pensent qu'il faut que le marché sanctionne les mauvais projets. A ce rythme, c'est l'ensemble du système bancaire qui se serait effondré compte tenu des engagements des banques les unes dans les autres.
Jeff : Vous dites "Des centaines de milliards d'euros qui auraient pu financer l'économie réelle se sont évaporés"... L'argent n'a pas disparu ! L'or et les produits financiers sûrs (livret A) sont-ils les bénéficiaires de la crise ?
Liem Hoang-Ngoc : Si ! L'argent a disparu. C'est ce que Marx appelait la dévalorisation du capital fictif...
alexandre : Ne pensez-vous pas qu'un retour à la réglementation bancaire provoquerait une seconde vague d'innovation financière, encore plus dévastatrice que celle qui a pu être à l'origine de la crise actuelle ?
Liem Hoang-Ngoc : Les spéculateurs s'amusent toujours à contourner la réglementation, mais l'absence de réglementation serait suicidaire.
juju74 : Pour éviter de sombrer dans les subprimes, n'aurait-il pas été mieux de laisser tomber les banques et que les Etats reprennent les nouveaux crédits à leur compte ?
Liem Hoang-Ngoc : C'était l'idée du plan Paulson I (750 milliards de dollars) qui consistait à "perfuser un malade victime d'hémorragie interne" (dixit Stiglitz). C'est pourquoi le plan Paulson II s'est résolu à recapitaliser les principales banques à ce point, tellement leurs bilans étaient dégradés.
mans : L'interdiction (ou du moins le fait de la rendre plus difficile par une taxation élevée) de la spéculation à court terme et de la spéculation à la baisse peut-elle être une solution pour moraliser les marchés ?
Liem Hoang-Ngoc : On ne voit pas en quoi cela moraliserait le marché. Il est très difficile d'enrayer une spéculation à la baisse quand elle fait boule de neige. Les autorités ont alors la possibilité de suspendre les cotations.
bigdaddysnake : Le système bancaire francais a montré une grande résistance, ne doit-il pas être pris en modèle pour la réforme de la finance mondiale ?
Liem Hoang-Ngoc : Le système français est en effet doté de fonds propres importants et d'une activité plus diversifiée que les banques d'affaire américaines. Pour autant, le nuage ne s'est pas arrêté à Tchernobyl, mondialisation oblige. Les banques françaises ont des créances sur toutes les banques du monde et notamment celles qui détiennent des actifs toxiques. Elles-mêmes détiennent une proportion importantes de produits dérivés. Il n'est donc pas étonnant que 10,5 milliards aient été nécessaires pour les recapitaliser, preuve que ce système avait besoin d'être dopé...
testone : Quelles seront les conséquences sur les économies en voie de développement, par exemple celles du sud de la Méditerranée ?
Liem Hoang-Ngoc : La crise peut se répercuter sur la réduction des aides au développement accordés par les pays du Nord. Tout dépend également des engagements des banques des pays en question dans les banques touchées par la crise.
juju74 : Est-il possible que les Etats-Unis ne puissent faire face à leurs obligations financières d'ici l'été 2009 comme l'annoncent certains sites Internet ?
Liem Hoang-Ngoc : Tout dépend du compotement des créanciers du monde entier qui financent le déficit budgétaire américain en achetant des bons du Trésor. Pour le moment, ils acceptent le paiement des emprunts payés en dollars créés par la planche à billets américaine. Il n'y a pas de monnaie concurrente qui puisse chasser le dollar comme le dollar a chassé la livre lors des accords de Bretton Woods. Ça peut donc durer un temps encore tant que la confiance en le dollar règne...
bigdaddysnake : L'économiste que vous êtes n'est-il pas perverti par son engagement politique (l'aile gauche du PS) ?
Liem Hoang-Ngoc : Pas de risque d'être perverti là où je suis... Si j'avais voulu être "perverti", c'est ailleurs que je serais allé..
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Marie-Béatrice Baudet