MOUSTIQUE ? vous avez dit MOUSTIQUE!
Ngoc Tam, un modeste cultivateur, avait épousé Nhan Diep.
Tous deux jeunes et bien portants, ils semblaient destinés au bonheur d'une vie simple et laborieuse:le mari s'occupant de quelques rizières et d'un petit champ de mûriers, la femme de l'élevage des vers à soie.
Mais Nhan Diep était d'une nature coquette et paresseuse, ne rêvait que luxe et plaisirs.Elle cachait facilement ses goûts et ses ambitions à son mari, dont le solide amour n'était ni exigeant, ni très clairvoyant;il la croyait contente de son sort et heureuse de l'aider. Et il peinait durement, ne pensant qu'à améliorer lentement leur condition commune.
La mort emporta brutalement Nhan Diep. La douleur de Ngoc Tam fut excessive. Il ne voulut pas se séparer du corps de sa femme , s'opposa à son ensevelissement; puis, après avoir vendu ses biens, il s'embarqua dans un sampan avec le cercueil et s'en alla au fil de l'eau.
Un matin, il se trouva au pied d'une colline verdoyante et parfumée. Descendu à terre, il découvrit mille fleurs rares, des arbres chargés de fruits les plus variés. Ravi, il avançait, se sentant tout léger, si bien qu'il grimpa assez haut sans s'en apercevoir.
Soudain, il rencontra un vieillard appuyé sur un bâton de bambou: ses cheveux étaient blancs comme du coton; son visage ridé à peine hâlé était éclatant de jeunesse et de santé et ses yeux brillaient comme ceux d'un adolescent, sous des paupières blondes. A ce dernier trait Ngoc Tam reconnut le Génie de la médecine, qui voyage à travers le monde, sur sa montagne Thien Thai, pour apprendre sa science aux hommes et soulager leurs maux; il se jeta à ses pieds. Le Génie lui dit:
-connaissant vos vertus, j'ai arrêté ma montagne sur votre chemin. Si vous le désirez, je vous admettrai parmi mes disciples.
En le remerciant humblement, Ngoc Tam avoua qu'il ne saurait se séparer de sa femme :il ne concevait pas d'autre vie que celle qu'il avait menée jusqu'alors avec elle, et le supplia de la ressusciter.
Le Génie le regarda avec une bonté mêlée de pitié et dit:
-Pourquoi vous accrocher à cette terre d'amertume où les rares joies ne sont que leurre ? Quelle folie aussi de vous fier à un être faible et inconstant! Enfin, je veux bien exaucer vos voeux mais puissiez- vous ne pas trop le regretter plus tard!
Sur son ordre, Ngoc Tam ouvrit le cercueil, se coupa le doigt, et laissa tomber trois gouttes de sang sur le corps de Nhan Diep. Celle ci ouvrit les yeux lentement, comme si elle se réveillait d'un profond sommeil. Ses forces revinrent vite:
-n'oubliez pas vos devoirs, lui-dit le Génie. Pensez au dévouement de votre mari. Soyez heureux tous les deux.
Pendant le voyage de retour, Ngoc Tam rama jour et nuit, préssé de regagner son foyer. Un soir, il descendit dans un port pour chercher des provisions.
Pendant son absence, une grande barque vint se ranger à côté de la sienne et le propriétaire, un riche commerçant, fut frappé par la beauté de Nhan Diep.Il entra en conversation avec elle, l'invita à prendre une tasse de thé et dès qu'elle fut dans sa barque, il fit mettre les voiles .
Au bout d'un mois de recherche, Ngoc Tam retrouva sa femme. Mais, habituée à sa nouvelle vie, qui la satisfaisait entièrement, elle répondit sans détours à ses questions: pour la première fois il la vit sous son vrai jour. Du coup il fut guéri de son amour et ne la regretta pas davantage.
Vous êtes libre, lui dit il. Seulement rendez moi les trois gouttes de sang que j'ai versées pour vous ranimer:je ne veux pas que vous conserviez en vous la moindre partie de moi-même.
Heureuse d'être quitte à si bon compte, Nhan Diep s'empressa de prendre un couteau et de se couper le bout du doigt. Mais à peine le sang commença t-il à couler qu'elle pâlit affreusement et s'affaissa sur le sol. On se précipita: elle était morte.
Mais la femme légère et frivole ne pouvait se résigner à quitter ce monde.
Elle y revint sous la forme d'un petit insecte poursuivant Ngoc Tam sans relâche, cherchant à lui voler trois gouttes de sang, qui la ramènerait à la vie humaine. Et elle tracassait son ancien mari et elle bourdonnait, bourdonnait, lui demandant pardon de sa conduite passée, protestant de ses regrets et de son repentir.
Plus tard, on lui donna le nom de "moustique". La race se multiplia, fort malheureusement.
Merci Caliméro de m'avoir permis de raconter l'histoire de Nhan Diep et de Ngoc Tam