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Et dans la série des reportages estivaux ... avec un "titre de série fort sympathique ".....
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Série d'été - Ces symboles étrangers à Paris - 3.
La pagode de la liberté
Claire L'Hoër le jeudi, 04/08/2011
Inattendus, insolites, autant de témoignages architecturaux et historiques venus d’ailleurs que cette série d’été vous fait visiter. Cette semaine, la pagode du Coeur tranquille à Sèvres.
Une pagode de Singapour, de Hong Kong, de Taipei ? Mais non, de la banlieue de Paris ! Les liens qui unissent la France et les pays de la péninsule indochinoise remontent au XVIIIe siècle. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à trouver à Sèvres, cité de la Manufacture royale de porcelaine et située à deux pas de Paris, cette pagode construite dans les règles de l’art par des artisans vietnamiens, laotiens et cambodgiens : la pagode du Coeur tranquille, Tinh Tam, en vietnamien.
C’est dès le règne de Louis XVI que la France apporte son soutien à Gia Long, héritier de l’empereur du Viêtnam, désireux de reconquérir son trône et favorable aux missions chrétiennes en Indochine. Lorsque cette tolérance religieuse prend fin, en 1862, Napoléon III décide d’intervenir militairement. À l’argument religieux se mêlent les ambitions économiques qui veulent faire de la péninsule indochinoise une base arrière permettant de pénétrer – déjà ! – le très convoité marché chinois. La péninsule elle-même regorge de richesses nouvelles, tel le précieux caoutchouc naturel issu des plantations d’hévéas.
Cochinchine, Annam, Tonkin, Laos et Cambodge sont progressivement conquis jusqu’en 1893, venant agrandir le domaine colonial de la France. Pendant que les premières familles de colons français s’installent sur le territoire, les élites indochinoises apprennent peu à peu la langue de Molière et prennent l’habitude d’envoyer leurs fils faire leurs études à la Sorbonne. C’est le cas de Bao Dai, qui devait être le dernier empereur du Viêtnam, mais aussi de Hô Chi Minh, son adversaire implacable.
Au moment où elle met en place la colonisation, la France découvre aussi le patrimoine archéologique exceptionnel de ces contrées et, en particulier, le site d’Angkor, au Cambodge. Les découvreurs européens pouvaient à peine croire que cet immense complexe de temples et de palais avait été construit de mains d’homme. Est alors créée, en 1900, l’École française d’Extrême-Orient, dont le siège est établi dans un premier temps à Saigon (maintenant Hô Chi Minh-Ville), dans le sud de l’Indochine, puis à Hanoi, au nord, en 1902. L’École étudie et restaure les monuments et recueille les pièces les plus précieuses au musée Louis-Finot.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Hô Chi Minh proclame l’indépendance du Viêtnam. Le général de Gaulle, encore chef du gouvernement, envoie sur place un de ses fidèles, Jean Sainteny, résistant de la première heure, Français libre de Londres. La suite est tragique : début de la guerre d’Indochine en 1946, chute de Diên Biên Phù en 1954, éclatement du Viêtnam en deux lors des accords de Genève, engagement des États-Unis dans la lutte contre le communisme jusqu’à la chute de Saigon, en 1975, lorsque les commu nistes nord-vietnamiens prennent le pouvoir sur tout le territoire.
Dès 1954, une partie des élites quitte le pays, particulièrement la zone nord, soumise au Viêt-minh. Des ingénieurs, des médecins, des enseignants vietnamiens, cambodgiens et laotiens s’exilent en France. Ils ont le souci de s’intégrer rapidement mais n’abandonnent pas pour autant des traditions familiales séculaires : le culte des ancêtres, le confucianisme, et restent très attachés à leur religion, le bouddhisme. Des petits autels sont élevés dans les logements particuliers, où brûle l’encens. Les offrandes y sont renouvelées quotidiennement.
À son retour en France, Jean Sainteny poursuit une brillante carrière politique. En plus de ses responsabilités gou vernementales, il est reconnu comme un spécialiste incontesté de l’Extrême-Orient. Son intérêt pour l’Indochine et la Chine est si grand qu’il éprouve une certaine sympathie pour la religion bouddhiste, qui prône la paix et la tempérance. Quand le Viêtnam est réunifié après que les troupes communistes du Nord ont envahi Saigon, il est profondément touché par la détresse des réfugiés qui cherchent à fuir le pays et à gagner les États-Unis ou la France. Car, à partir de 1975, nombreux sont les Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens qui se tournent vers la France comme vers une terre d’asile. Jean Sainteny sait à quel point la religion leur apporte un soutien moral profond en les reliant aux mânes de leurs ancêtres. Les réfugiés du Sud-Est asiatique, qui ont tout perdu, ont besoin de se retrouver et de prier ensemble. Sainteny parvient à faire aménager pour eux un temple destiné au culte bouddhiste dans un endroit surprenant…
Dans le bois de Vincennes, face au lac Daumesnil, se trouvent plusieurs huttes géantes, vestiges de l’Exposition coloniale de 1931. La plus grande d’entre elles, haute de 28 mètres, était le pavillon incarnant le Cameroun. À ses côtés, une case plus petite évoquait le Togo. Les cases, appartenant à la Ville de Paris, n’avaient pas été détruites, mais on leur trouva une nouvelle destination : abriter le musée de l’Industrie du bois. La vocation de l’ancienne case du Cameroun va changer radicalement, puisqu’elle devient la Grande Pagode du bois de Vincennes en 1977. Pourtant, elle ne ressemble nullement à un temple asiatique…
Bientôt, la communauté bouddhiste de Paris, agrandie de nombreux Chinois, souhaite ériger un bâtiment plus conforme à ses traditions architecturales, en forme de tour avec des toits recourbés. Le bâtir de ses propres mains serait une fierté. Décision est prise de construire enfin une vraie pagode sur la commune de Sèvres, au 2, rue des Bois, en 1982. Huit années seront nécessaires à son édification. Des fonds sont levés auprès des diasporas asiatiques du monde entier et de donateurs.
Les matériaux de construction sont pour la plupart importés d’Extrême-Orient : briques vernissées de Chine, parquets de chêne de Thaïlande vieux de huit siècles, statues provenant de différentes régions d’Asie afin de mêler les diverses influences culturelles et d’en faire une pagode universelle. Les artisans bouddhistes recrutés en France travaillent de bon coeur à l’édification de leur temple.
Le bâtiment comporte trois niveaux : le rez-dechaussée est réservé au vénérable Thich Thien Dinh, qui habite les lieux. Au premier étage se trouve la salle de culte, ornée de trois statues de Bouddha recouvertes d’or. Celle du centre le représente en posture de méditation, c’est Sâkyamuni ; le bouddha de l’Est, à gauche, est sur le chemin de l’Éveil ; enfin, le bouddha de l’Ouest, médecin, préserve la santé. Le second étage de la pagode est une chapelle consacrée à Avalokitesvara, la déesse de la miséricorde. Le tout est surmonté d’un clocher en forme de stupa, de 14 mètres de haut. En s’élevant vers le ciel, le bâtiment symbolise l’ascension de l’esprit dans sa quête de perfection spirituelle à l’image du Boud dha historique : le prince Siddharta Gautama, qui vécut au VIe siècle avant notre ère.
Le jardin qui entoure le bâtiment joue un rôle important dans le cheminement intérieur du fidèle. C’est un lieu de méditation. Ce sas végétal est rare et précieux pour de nombreux croyants, qui ne disposent que de peu d’espace chez eux. Un grand bouddha doré s’y trouve, couché parmi les plantes exo tiques variées.
Les symboles de la religion bouddhiste sont discrètement présents : des lotus ornent les bassins, images de la tranquillité de l’esprit pur, flottant au cours de la méditation tranquille, débarrassé des soucis et des contingences de ce monde ; des lions de pierre veillent sur le sanctuaire, rappelant la condition royale du prince Siddharta devenu Bouddha ; la roue du dharma, par sa forme parfaite évoque l’état de plénitude et de sérénité atteint par le fidèle au cours de sa méditation.
La pagode a été inaugurée par des vénérables venus de Singapour, de Hong Kong et de Taiwan. Elle est donc bel et bien un carrefour où se retrouvent, le dimanche, une partie des 150 000 Asiatiques de la région parisienne mais aussi tous ceux désireux de mieux connaître cette religion pratiquée par plus du quart de l’humanité. Le bouddhisme compte en effet de plus en plus d’adeptes, y compris en Occident. Il faut savoir que sa pratique n’est pas incompatible avec le christianisme, puisque le bouddhisme est avant tout une philosophie de vie et Bouddha, un “homme admirable”. Ce qui explique sans doute l’engouement dont il est l’objet. L’orientaliste René Grousset écrivait : « Le chrétien peut admirer sans arrière-pensée tant de beauté humaine que le bouddhisme fait éclore. Sans, bien entendu, y chercher sa vérité, il ne s’interdira pas d’y puiser des leçons. » La cause tibétaine a également contribué à éveiller la curiosité des Occidentaux pour le monde oriental. À côté de la pagode de Vin cennes, un petit temple tibétain a été édifié en 1985. Le grand maître Kalou Rimpo ché a fourni les instructions nécessaires à sa construction. Le dialogue, la paix, la bonne entente avec les autres nations sont les qualités majeures de la philosophie bouddhiste. L’initiative de ce temple tibétain nourrit l’idée d’ouverture et de tolérance mutuelle, mais contribue aussi au rayonnement de la France dans le monde, puisque la réputation des pagodes de Paris a désormais franchi nos frontières. Claire L'Hoër
La semaine prochaine : La mosquée de Lyautey.
Photo © Patrick Iafrate / Rue des archives