DidierDR3 le 27/11/2011 à 11h29
L’édition de "C dans l’air" (France 5) de vendredi 25 novembre consacrée à la démographie m'a laissé un goût de discours univoque et convenu. En effet, aucun des invités ne semblait sérieusement inquiet de l’augmentation de nos effectifs (alors que nombre de nos compatriotes le sont) et tous ont insisté sur un problème d’organisation plus que de données quantitatives.
Ces points de vue mille fois répétés s’appuyaient cependant sur une argumentation imprécise et incomplète sur beaucoup de points.
Le démographe Hervé Le Bras d’abord a annoncé un taux de croissance de la population mondiale de 0,8 à 0,9 % par an. Or, avec 80 millions d’habitants supplémentaires pour une population de 7 milliards, le taux de croissance est en réalité de 1,14 %...
M. Le Bras a également beaucoup insisté sur la baisse de ce taux de croissance en omettant deux phénomènes importants :
D’abord il se réfère, pour dire que ce taux n’est pas inquiétant, aux taux records que l’humanité a connus dans les années 60 et 70. Il n’est jamais très honnête pour juger une donnée de la comparer à la donnée record, on pourrait dire aussi que le taux actuel est très fortement supérieur à ce que l’humanité a connu l’essentiel de son histoire et même au cours d'une partie de la première moitié du 20ème siècle.
En second lieu, bien sûr, il y a lieu de rappeler que ce taux de croissance s’applique à une population de plus en plus importante et qu’il conduit en pratique à une croissance en nombre absolu (et c’est bien cette dernière qui pèse sur les ressources et sur les équilibres écologiques) proche des croissances records, nous gagnons depuis le début de ce siècle environ 80 millions d’habitants par an et cela ne baisse pas.
Hervé Le Bras a également beaucoup insisté sur la baisse des taux de fécondité sans toujours la comparer (au moins dans la même intervention) à la baisse de la mortalité infantile. Or, dans les faits ce qui compte c’est le nombre de femmes qui arrive à l’âge de la reproduction (de ce nombre viendra la croissance future), la baisse très forte de la mortalité infantile rend incomparable les taux de fécondité passés et présents, comparaison sur laquelle s’appuie son optimisme. En pratique d’ailleurs le monde gagne bien toujours autant d’habitants.
Analyse assez incomplète également de l’agriculture par Mme Marion Guillou qui, lorsqu’elle a évoqué l’avenir, a tout simplement oublié de dire que la productivité agricole était fortement dépendante du pétrole (par les engrais, la mécanisation et le transport des denrées) or ce pétrole va manquer au cours de notre siècle. Cela va très sensiblement peser sur la productivité et donc sur notre capacité à nourrir des effectifs croissants.
Propos tout aussi incomplets de Gérard-François Dumont qui évoqua plusieurs pays en décroissance démographique en oubliant tout simplement de rappeler leur poids absolument négligeable dans la démographie mondiale.
Propos enfin très étonnants de Jean-Christophe Rufin qui laisse entendre le caractère criminel de toute analyse malthusienne. Mais quel est donc ce principe par lequel on juge une idéologie à partir d’exemples caricaturaux tirés de la frange extrémiste de ce qu’on appelle la Deep Ecology ? Que Jean-Christophe Rufin regarde les études et les réflexions du World Watch Institute aux États-Unis, de Population Matters en Angleterre, de Démographie Responsable en France ou de Rientrodolce en Italie et il verra que ceux qui s’inquiètent de la surpopulation sont loin de tous ces excès. Laisser entendre comme il le fait que souhaiter un monde moins peuplé est ne pas se préoccuper des milliards actuels est tout simplement un mensonge. C’est au contraire pour assurer un avenir à tous, que beaucoup de mouvements militent pour une démographie responsable.
Enfin et cela concerne l’ensemble des invités deux lacunes très profondes sont apparus dans leur discours.
D’abord aucun n’a mis le problème en perspective et n’a fait comprendre à l’auditeur combien les décennies qui nous entourent constituent une exception sur le plan démographique tant en ce qui concerne les effectifs atteints qu’en ce qui concerne leur évolution. Quand un problème est grave il est bon de prendre un peu de recul et de situer les choses. Regardons une courbe de la démographie humaine sur longue période (2000 ans par exemple) et nous comprendrons immédiatement le caractère absolument exceptionnel de la période présente. Ceci ne ressortait en rien des analyses présentées et l’on avait l’impression d’un réel manque de hauteur.
Second reproche plus grave encore, l’absence totale de réflexion écologique. Tout le débat a été concentré sur l’alimentation. Que l’explosion démographique exclue de fait la présence de la quasi-totalité de la vie sauvage sur Terre ne semble pas avoir effleuré un seul instant l’esprit des invités. C’est qu’il ne s’agit pas que de nourrir les hommes, il s’agit aussi de les faire vivre durablement et en harmonie sur leur planète et avec le reste du vivant. C’est là peut-être la conception la plus profonde de l’humanisme, mais de cela, il n’a pas été question une seule seconde. Manque de recul encore et manque de tendresse évident pour le monde.
Didier Barthès : Porte-parole de l'association Démographie Responsable