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Ngo Van
Jean-Jacques Rousseau et quelques figures de la lutte anticolonialiste et révolutionnaire au Viet Nam ...
« L’oppression nous vient de France,
mais l’esprit de libération aussi. »
Nguyên an Ninh.
C’est grâce à une toute petite note de mon livre Viet Nam, 1920-1945, Révolution et contre-révolution sous la domination coloniale (L’Insomniaque, 1995), débusquée par Tanguy L’Aminot et qui mentionne un début de traduction en quôc ngu, la langue vernaculaire du Viet Nam, du Contrat social, que j’ai rencontré le groupe des Etudes Jean-Jacques Rousseau. Je suis heureux d’avoir l’occasion ici d’évoquer quelques vivantes figures du combat révolutionnaire et anticolonialiste du Viet Nam.
Il est, je pense, inutile de préciser que je ne suis un spécialiste ni de Rousseau, ni de rien du tout. Mais il se trouve que j’ai été mêlé à des événements qui m'ont fait côtoyer des gens qui, à leur manière, et en dépit du temps et de l'espace, ont témoigné de l'actualité de Rousseau.
Au Viet Nam, c’est dans la lecture clandestine d’ouvrages traduits en caractères chinois venus en fraude de Chine que les lettrés formés à l’ancienne école du début du siècle jusque dans les années 20, découvrirent Rousseau et les penseurs des Lumières. Car, le moins qu’on puisse dire, c’est que la colonisation s’est bien gardée d’apporter, avec ses armes et lourds bagages, la culture émancipatrice. Et c’est par un détour par l’Est, c’est-à-dire par la Chine et le Japon que la pensée occidentale a pénétré le pays.
Parmi les lettrés «modernistes» et révolutionnaires qui ont marqué l’histoire du pays, Phan bôi Châu (1867-1940) voulait chasser les Français du Viet Nam, mais, à l’époque, il était partisan d’un régime monarchiste constitutionnel. En 1905, il s’est rendu au Japon dans l'espoir d'y trouver aide et soutien. Là, il a rencontré le lettré chinois Liang Qichao, réfugié à Tokyo depuis 1898 après l’échec de la Réforme des Cent jours, et qui avait rejoint le groupe des Réformateurs, animé par le Cantonais Kang Youwei. Liang Qichao était le principal propagateur de Rousseau en Chine:
« De talents éminents, aptes à guérir la maladie d’un pays, il y en a plusieurs dizaines dans l’Europe moderne. Si je considère le remède qui s’adapte le mieux à la situation actuelle de la Chine, [j’en conclus que] ce ne peut être que le Contrat social de Rousseau.»
(Cité p.426, dans la thèse de Wang Xiaoling sur L’influence de la pensée politique de Rousseau en Chine avant la révolution de 1911, qui m’a éclairé sur les rousseauistes chinois dont les traductions ont permis aux lettrés viets qui ne lisaient pas le français d’accéder à Rousseau. )
Phan bôi Châu, pour se présenter à Liang, lui écrivit: « Dès mon premier cri en venant au monde, j’étais votre ami; dix années passées à lire vos ouvrages ont fait de moi un parent par alliance » *. Et Phan bôi Châu de raconter: « Cette lettre le toucha et il m’invita à venir le voir avec Tang Bat Hô comme interprète. Quand nous voulions nous exprimer plus directement, nous prenions le pinceau... »* De Liang Qichao, Phan bôi Châu connaissait déjà Mâu tuât chinh biên, (Les Evénements de 1898); Trung quôc hôn ((L’Ame de la Chine), La Guerre du Moyen-Orient ; La Guerre franco-prussienne .
« Lorsque j’étais venu voir Liang Qichao, il m’avait montré L’histoire des trois héros de l’Italie (Mazzini, Garibaldi, Cavour) qu’il était alors en train d’écrire. J’avais été enthousiamé par Mazzini et notamment par cette pensée de lui: « Education et violence doivent aller de pair ». Tout en poussant les étudiants à partir outre-mer, je ne cessai pour autant d’encourager le développement de l’action révolutionnaire dans le pays. J’écrivais donc une Suite à la lettre d’outre-mer écrite avec du sang, que Lê Dai traduisit en vietnamien et diffusa à travers tout le Viet Nam.
... Quand le vent morne charrie une odeur fétide
Comment rester impassible, l’épée sous le bras?
Dans nos coeurs chaque goutte de sang bouillonne de colère
Voici le ciel, voici la terre et nous voici nous
Frères, dégainez l’épée
Il n’est pas d’autre façon de nous unir. » *
..................etc