Il y a très longtemps de cela, régnait au Viêt-nam la dynastie chinoise des Ming. Le peuple n'avait pas la vie facile, sous la domination étrangère : les impôts augmentaient chaque année, les corvées étaient de plus en plus insupportables et la misère sans cesse plus grande.
Et quand, en plus de cela, la famine s'abattit sur tout le pays, la population finit par se soulever dans la province de Thanh Hoà, sous la conduite d'un homme nommé Lê Loi. Malheureusement, les rebelles, affaiblis par la faim et mal armés, subirent défaite sur défaite.
Alors l'Empereur du Royaume des Eaux, Lac Long Quân, eut pitié de ce peuple accablé et décida d'intervenir dans le cours des choses. A cette époque-là vivait un pêcheur appelé Lê Thânh. Un matin, quand il voulut tirer son filet comme d'habitude, celui-ci lui parut plus lourd.
«Enfin une bonne pêche!» se dit-il. «Aurais-je pris une anguille, pour une fois?»
Mais point d'anguille, ce n'était qu'une barre de fer. Déçu, Lê Thânh la rejeta dans l'eau. Lorsqu'il la remonta une deuxième fois, il jura comme un beau diable et l'envoya loin du bateau.
«Ce n'est pas possible, une chose pareille!», pensait-il en lançant son filet pour la troisième fois. Cette fois encore, au lieu du poisson attendu, il pêcha la barre de fer.
«Bouddha miséricordieux, ce n'est pas une barre, c'est une épée!», cria-t-il alors, après l'avoir mieux regardée. «Une véritable épée, à laquelle il ne manque que la poignée!»
Lê Thânh s'empara de l'épée et, quelque temps après, se joignit aux rebelles. Un jour, leur chef fit halte chez lui en compagnie de quelques soldats. Fatigués par une longue et pénible cavalcade, les insurgés furent heureux de voir apparaître la cabane du pêcheur.
La pensée d'une tasse de thé vert, tellement rafraîchissant, et d'une sieste à l'ombre du bananier leur fit pousser un soupir de bonheur ; car on était en plein midi, le soleil brillait de tous ses feux et dardait des rayons aussi brûlants qu'impitoyables sur tous les êtres vivants. Tandis que les hommes s'installaient confortablement à l'ombre, Lê Loi pénétra dans la hutte. Quand ses yeux se furent accoutumés à la pénombre, il découvrit brusquement dans un coin un objet très brillant qui semblait l'attirer avec une force magnétique.
«Comment une arme de ce prix se trouve-t-elle ici?», se demanda-t-il, surpris. «Une telle épée serait digne d'un roi ! Dommage qu'elle n'ait plus de poignée...»
Là-dessus, il ressortit pour interroger le pêcheur, qui servait du thé vert à ses hommes. Lê Thânh lui raconta tout. Après un court repos, les rebelles se remirent en route, oubliant vite l'épée et son histoire extraordinaire. Le temps passa, s'écoulant comme l'eau du fleuve. Les insurgés subirent encore de nombreuses défaites, et leur chef Lê Loi avait le coeur de plus en plus lourd.
«Un peu de solitude me ferait peut-être du bien», se dit-il un jour.
Il sella son fidèle coursier et s'enfonça dans la forêt. Il était déjà loin quand il aperçut tout à coup, au plus profond des arbres, une lueur aveuglante. Chevauchant dans cette direction, il finit par atteindre un grand arbre. La mystérieuse lueur étincelait à son sommet. Il constata bientôt qu'il s'agissait d'une poignée d'épée, magnifiquement ouvragée, que le soleil faisait resplendir.
«Où ai-je vu la lame qui va avec cette poignée?», se demanda Lê Loi.
Brusquement, l'histoire du pêcheur Lê Thânh lui revint. Dès le lendemain, il retourna le voir et lui montra la poignée, trouvée dans de si étranges circonstances.
«Croyez-moi, Seigneur, c'est le Ciel lui-même qui nous envoie cette épée pour nous aider dans notre juste combat», déclara le pêcheur. «De toute évidence, ce n'est pas une épée ordinaire.»
Il avait raison : l'épée prodigieuse à la main, Lê Loi conduisit ses troupes de victoire en victoire.
La chance était enfin du côté des insurgés. Bientôt le pays se trouva libéré, et Lê Loi devint son nouveau roi. Une année passa. Le nouveau souverain séjournait la plupart du temps dans son palais, au coeur de la capitale, et consacrait ses heures libres à des promenades sur le lac. Un jour qu'il glissait sur le miroir des eaux dans sa jonque ornée de dragons et de phoenix, il vit soudain surgir devant la proue une tortue qui s'adressa à lui d'une voix humaine :
«Lê Loi, mon Maître te prie de bien vouloir lui rendre son épée magique. Tu n'as plus besoin de ce présent de l'Empereur Lac Long Quân, puisque la paix et l'ordre règnent désormais dans le pays tout entier.»
Alors Lê Loi comprit enfin qui l'avait aidé quand il était dans le besoin : le souverain du Royaume des Eaux en personne.
Tiens, je te la donne.
La tortue disparut avec l’épée dans les profondeurs. Depuis lors, le lac qui se trouve au centre de la ville d'Hanoi se nomme le Lac de l'épée restituée.