Source : BAO ANH VIET NAM
La francophonie au Vietnam, hier et aujourd'hui
Nous entendons par francophonie le caractère francophone, au point de vue linguistique, mais essentiellement culturel en ce qui concerne le Vietnam.
La francophonie dans notre pays passe par 4 étapes : le prélude, l'implantation, l'effacement et la relance.
Le prélude dure des centaines d'années, du 17e siècle à la deuxième moitié du 19e siècle. De caractère sporadique, des marchands, des militaires et techniciens plus ou moins aventuriers au service des shogouns gouvernant les seigneuries rivales du Nord et du Sud. Il est marqué par l'évangélisation des plaines côtières, la création de l'écriture romanisée vietnamienne dont l'un des principaux artisans était le père Alexandre de Rhodes, la participation d'un groupe de mercenaires civils et militaires au combat mené par le seigneur du Sud, Nguyên Anh, qui devait fonder la dynastie royale des Nguyên (1802 - 1945). À cette période survivent de nombreuses citadelles à la Vauban dans différentes provinces.
La deuxième étape, celle de l'implantation, correspond à la période coloniale (1858 - 1945). Au cours de cette période de modernisation, c'est-à-dire d'occidentalisation, se produit un choc culturel dont l'impact sur le Vietnam s'avère aussi important que celui qui l'avait frappé au 2e siècle av. J.-C. avec l'invasion chinoise. C'est le choc entre une culture judéo-chrétienne de la Méditerranée industrielle et urbaine, individualiste, et une culture sud-est asiatique, animiste, agricole et rurale imbue d'esprit communautaire confucéen. La colonisation va de pair avec l'acculturation.
Qu'est-ce que l'acculturation ? Selon une définition de l'UNESCO, c'est "la situation de contact entre groupes de cultures différentes", et ce sont "les transformations culturelles qui en résultent en chacun d'eux".
Concernant l'acculturation franco-vietnamienne, les indicibles horreurs du colonialisme mises à part, il faut tenir compte de l'impact culturel positif sur chaque côté.
Du côté français, la matière vietnamienne, "exotique" dans le meilleur sens du terme, ouvre un large champ de recherche scientifique d'investigation humaine, de création artistique et littéraire dans plus d'un domaine : Citons entre autres les travaux de l'École française d'Extrême Orient en anthropologie culturelle, vietnamologie, linguistique, ethnographie, archéologie, la médecine tropicale, les réalisations de Yersin, l'art pictural de Tardieu et d'Inguimberty dans le sillage de Gaugnin, le style indochinois de l'architecte Hébrard, toute une littérature indochinoise avec Marguerite Duras, Roland Dorgelès, André Malraux, Claude Farrère Andréc Viollis.
Du côté vietnamien, si les échanges culturels avec l'Occident ont ravi au pays certains traits de son identité, cette dernière s'est par contre enrichie en créant de nouvelles valeurs grâce à une acculturation féconde. Nous en reparlerons après.
La troisième étape de la francophonie au Vietnam, c'est celle de l'effacement pendant la guerre franco-vietnamienne (1945 - 1954). Au début des hostilités, une vague de haine anti-française a déferlé sur tout le pays, surtout dans les régions rurales. Les guérilleros campagnards brûlaient tous
les livres en français, même le Larousse. Hô Chi Minh a su rapidement freiné ce chauvinisme aveugle en proclamant qu'il fallait faire la distinction entre les colonialistes français fauteurs de guerre et le peuple de France lui-même victime de la guerre. La guerre a ainsi pris le visage anticolonial et non racial comme c'était parfois le cas de la guerre d'Algérie. Cette ouverture d'esprit de Hô Chi Minh s'est aussi matérialisée dans sa politique de clémence à l'égard des prisonniers de guerre français, considérés aussi comme instruments des manucures coloniales.
D'éminents intellectuels vietnamiens ont adopté la même ligne, ne confondant pas colonialisme et culture français. Ils ont mis avec succès leur formation française, technique et culturelle, au service de la résistance. En pleine guerre, le Dr. Hô Dac Di prononçait en français le discours inaugural de la première Faculté de médecine vietnamienne installée dans la brousse, alors que l'enseignement était donné en vietnamien. L'illustre chirurgien Tôn Thât Tùng dédiait des vers en français à Hanoi occupée. L'ingénieur Trân Dai Nghia inventait les bazookas qui contribuèrent à la victoire.
L'enseignement du français a été repris dans les écoles secondaires au cours de la guerre.
L'étape de relance francophone commencée timidement au lendemain des Accords de Genève (1954) a progressé rapidement avec l'établissement des relations diplomatiques entre les 2 pays, le développement des échanges culturels et économiques, surtout après l'adoption de la porte ouverte du Dôi moi (Renouveau) et l'adhésion vietnamienne à la Francophonie institutionnelle. Avec la régionalisation (Sud-Est asiatique - ASEAN) et la mondialisation, la Francophonie constitue les 3 volets de la politique étrangère vietnamienne sur tous les plans. Ainsi, elle entre dans le cadre de notre politique culturelle nationale axée sur le mot d'ordre : préserver et enrichir l'identité nationale en s'ouvrant aux cultures modernes et progressistes de tous les horizons.
Sur cette voie, la francophonie bénéficie d'un atout superbe, l'héritage laissé par l'acculturation au temps de la colonisation et fructifié jusqu'à ce jour. Ce legs culturel, comme le legs de l'acculturation sino-vietnamienne fait partie intégrante de notre culture nationale. La contribution de la langue française y est importante mais n'est pas déterminante. Il en est de même avec la culture française par rapport à l'antique culture gréco-romaine. Combien de Français d'aujourd'hui déchiffrent le grec et le latin, n'empêche que les humanités gréco-latines sont dans le sang de la culture française. Faire fructifier le capital accumulé par plus d'un siècle d'acculturation franco-vietnamienne s'avère un impératif pour nous.
Le colloque "Métiers de la culture" (à Huê, 23 - 24 mars 2009) dans le cadre des États Généraux de la Francophonie au Vietnam est on ne peut plus opportun. Il s'agit d'améliorer la qualité de nos métiers culturels non seulement dans un but purement esthétique mais aussi dans le but pratique d'assurer une vie décente et de créer des emplois pour les travailleurs culturels. Un autre colloque sur les petits métiers fécondé par les expériences des pays francophones est souhaitable.
Texte: Huu Ngoc