Jusqu'à quel point les images peuvent-elles décider du sort d'une guerre ? Patrick Barbéris revient sur le tournant de la guerre du Viêt-nam, l'offensive du Têt, et sur son traitement médiatique dans un documentaire choc.
ARTE F © Robert Ellison-BlackStar Viêt-nam, janvier 1968. En sept ans, la présence militaire américaine dans la seconde guerre d'Indochine est passée de quelques centaines de conseillers mili-taires à un contingent de 500 000 hommes. Fin janvier 1968 - période de trêve et de fête du nouvel an lunaire, le Têt -, les forces nord-vietnamiennes encerclent la base américaine de Khe Sanh, et déclenchent une guérilla urbaine de grande échelle dans le Sud Viêt-nam. Certain de sa puissance de feu, l'état-major américain croit alors tenir l'affrontement frontal tant attendu. Jusque-là, les bombardements massifs du Nord Viêt-nam avaient exténué l'ennemi mais les signes probants de victoire manquaient face à des combattants invisibles tapis dans la jungle. L'initiative nord-vietnamienne est perçue comme une tentative désespérée et le "début de la fin". Les combats dans Saigon donnent aussi aux nombreux journalistes américains présents sur place l'occasion et la matière pour abreuver l'Amérique profonde d'images de leurs soldats en action. Mais si l'armée américaine remporte en effet des victoires écrasantes sur le terrain, les images générées par ces combats produisent l'effet inverse. On assiste à l'exemple spectaculaire et paradoxal d'une guerre où la victoire militaire fabrique des images de défaite et aboutit à une débâcle politique.
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Le poids des images
Alors que la période précédant cette bataille produisait des images éparses qui, pour l'ensemble des téléspectateurs américains, justifiait cette guerre, celle du Têt a fait naître des visions d'apocalypse devenues traumatiques et universelles (les combats pour l'ambassade en pleine réception, la guérilla urbaine de Hué). Grâce aux reportages télévisés, l'offensive du Têt a été la première guerre en images : les reporters sont devenus des acteurs à part entière du conflit. Des photographies devenues célèbres comme celle de ce Viêt-cong exécuté en pleine rue (qui valut au photographe Eddie Adams le prix Pulitzer), des reportages de l'époque, mais aussi des films tournés par les militaires sur place forment la riche matière de ce passionnant documentaire. Son auteur-réalisateur, Patrick Barbéris (à qui l'on doit aussi, entre autres, Roman Karmen, un cinéaste au service de la révolution diffusé par ARTE), prend soin de croiser les témoignages des journalistes ayant couvert le conflit avec les analyses des militaires et des conseillers politiques américains, dans une perspective qui prend une résonnance très actuelle, au vu de la situation en Irak.
Viêt-nam, la trahison des médias - ARTE