Je voudrais vous faire part d'un entretien avec une jeune cinéaste, Xuân Lan Guyot réalisé par Dominique Widemann
C'est la fille d'un camarade d'école enfants de troupe de Dalat.
Xûan-Lan Guyot : « Un parcours initiatique »
Cinéma . Les Rencontres du cinéma documentaire tiennent leur 14e édition au Méliès de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Rencontre avec une jeune cinéaste, Xûan-Lan Guyot.
C’est jusqu’au 13 octobre prochain une nouvelle proposition des Rencontres documentaires en Seine-Saint-Denis, un parcours de films centrés cette année sur la figure du personnage documentaire sous l’intitulé « Personne/Personnage ». D’où naît le désir du cinéaste ? Comment la personne filmée va-t-elle le rejoindre, basculer de personne à personnage, s’inscrire dans un récit auquel chacune des modalités de l’échange contribue à donner du sens ? Nous avons choisi de soumettre à ce questionnement crucial une jeune cinéaste, Xûan-Lan Guyot. Son premier film, La vie sombre 3 fois, se relève 7 et 9 fois flotte à la dérive, reçoit dans les festivals où il commence à être montré le bel accueil qu’il mérite. Récemment, le jury jeune du festival international Corsica.doc lui remettait son prix. Il a été retenu comme le « cas d’étude » que l’atelier documentaire de la FEMIS présente dans le cadre des Rencontres du cinéma documentaire.
Vous résumez ainsi le propos de votre film : « Il s’agit de revenir sur le destin brisé d’une femme née en 1917 que j’ai rencontrée quand je suis allée au Vietnam pour la première fois, en 1998. Cette femme c’était ma grand-mère. Elle est morte il y a trois ans. On va maintenant déterrer ses os pour les nettoyer puis les emmener dans son village. » Comment ces quelques phrases aboutissent-elles à un objet cinématographique ?
Xûan-Lan Guyot. Mon seul désir, au départ, était de conserver une trace de ma grand-mère. Lorsque je suis allée la voir au Vietnam, je connaissais quelques aspects de son histoire que je trouvais bouleversants. Abandonnée par mon grand-père, elle avait été séparée de sa fille, ma mère, avec laquelle elle n’a jamais pu vivre. J’avais vingt-sept ans et nous ne nous connaissions pas. Nous nous sommes mutuellement apprivoisées. Elle me parlait beaucoup mais mon vietnamien était très insuffisant. J’ai commencé, entre autres, à la filmer pour recueillir ce témoignage que ma mère pourrait ensuite me traduire. J’avais plus ou moins l’idée d’un film possible, mais je ne filmais pas pour faire des rushes. Il s’agissait peut-être de travaux préparatoires mais ce n’était pas délibéré. À l’époque, je n’avais jamais vraiment tourné et ces premières images sont celles d’une « petite-fille » plutôt que d’une réalisatrice. J’étais très émue de rencontrer cette grand-mère en même temps que je la filmais. Il y a dans ces images qui figurent dans le film des flous, des maladresses de tournage dont je suis heureuse aujourd’hui. Entre-temps, ma grand-mère est morte et ces images au format des films familiaux des années quatre-vingt apparaissent comme d’un autre temps et font figure à la fois d’archives et de reliques.
De quelle manière le projet s’est-il concrétisé ?
Xûan-Lan Guyot. Il a d’abord été retenu par les ateliers documentaires de la FEMIS. Il s’agit d’un atelier d’écriture qui se tient à raison d’une semaine par mois pendant cinq mois. Cela oblige à se poser de nombreuses questions essentielles : pourquoi je veux faire ce film ? Qu’est-ce qui me meut ? Qu’est-ce que je tiens à montrer même si je ne le sais pas d’emblée ? Et bien entendu, on se pose également des questions formelles. En 2002, j’ai suivi les cours des ateliers Varan. Ces ateliers documentaires durent trois mois. On commence par l’analyse des films puis on prépare un projet, enfin en une semaine, on le tourne et on le monte. Cela m’avait permis de décomplexer mon rapport à la caméra. La FEMIS m’a aidée à l’écriture. Le passage à l’acte restait pour moi difficile. Je pensais que j’étais très lente. En fait, j’ai appris que le temps moyen de toutes ces étapes, du projet à sa réalisation, était de trois ans. Mais il s’agissait d’un premier film, d’un projet très personnel. J’avais peur de la confrontation au réel. Peur de ne pas être à la hauteur, de comme on dit « gâcher de la pellicule » même en tournant en vidéo. Il faut se colleter avec la question de la légitimité à filmer les autres, avec la nécessité d’élaborer du sens.
Vous avez tout de même franchi le pas du tournage…
Xûan-Lan Guyot. J’avais ces images de ma grand-mère disparue avant que je puisse la filmer de nouveau. J’ai senti là une présence. Ces images étaient parfois fuyantes, parfois coupées trop tôt, mais elles contenaient un vrai personnage, une vraie rencontre, un vrai dialogue qui d’ailleurs se poursuivait après la mort de ma grand-mère puisque la traduction de ses propos m’avait apporté des réponses à des questions que je n’avais pas posées. Une fois la date de la cérémonie fixée au Vietnam, il me restait à dépasser la crainte d’être submergée par l’émotion. Il s’agissait d’une circonstance familiale singulière pour laquelle je ne pouvais pas m’autoriser un preneur de son ou un chef opérateur. Mais je savais que cela n’aurait lieu qu’une fois. La réalisatrice a pris le pas. Tenir la caméra m’a permis de trouver une distance émotionnelle. Cela dit, avant la cérémonie, je ne savais pas quoi filmer. Je n’avais pas de « moteur ». Sur un séjour de quinze jours, je n’en ai passé que trois à filmer. L’un pour la cérémonie, l’un dans un village, et le troisième dans un autre pour interroger des gens sur la vie de mes grands-parents. Sans ce « moteur » que j’évoquais, je ne tournais rien. Lorsque je suis rentrée à Paris, j’ai mis les cassettes dans un tiroir en me disant que j’allais les y oublier.
À quel moment avez-vous su que le film se ferait malgré tout ?
Xûan-Lan Guyot. Quelques mois après le tournage, j’ai entendu parler de l’aide au film court du conseil général de la Seine-Saint-Denis. Il est demandé aux postulants de présenter un montage équivalent à la durée du film terminé. J’ai senti que je devais saisir cette impulsion. Bien sûr, c’était cinq jours avant le bouclage des dossiers et j’ai bricolé une maquette dont la durée n’est que la moitié de celle du film. Elle leur a plu. Au-delà de l’aide matérielle de 20 000 euros qui tombe comme un cadeau du ciel s’agissant d’un premier film autoproduit, j’ai réalisé que les éléments d’un film étaient là. Une certaine radicalité dans ce que j’avais fait était comprise et acceptée sans que je fournisse d’explications. Ce n’était pas une consécration puisque le film restait à faire mais une reconnaissance décisive car cette aide est très sélective. Ensuite, j’ai bénéficié d’une résidence de montage de l’association Périphérie. Obtenir tout cela signifiait que des professionnels avaient vu du cinéma dans un projet de papier. J’ai pu travailler ailleurs que dans mon salon, rencontrer d’autres cinéastes, soumettre à leurs regards et à ceux de l’équipe les étapes de mon film. J’avais écrit, tourné et fait le son toute seule, j’ai donc voulu travailler avec une monteuse, pour ce regard extérieur et pour m’assurer que si un autre film était possible à partir de ce que j’avais, il ne fallait pas que je passe à côté.
Entretien réalisé par Dominique Widemann
Journal Humamité du 7/10/2009