Tu Uyen ou le portrait de la fée
Tu Uyen était un étudiant. Un jour, après avoir assisté à une fête de pagode, il revenait seul, lentement, quand il vit tomber devant lui une feuille qui portait des caractères, il se pencha.
C'téaient des vers d'invitation à une de ces joutes poétiques et amoureuses qui était tradition autrefois.
Levant les yeux, il aperçut, debout au pied de l'arbre, une jeune fille d'une surprenante beauté. Il répondit aux vers, et tous deux, en marchant, rivalisèrent d'adresse dans les chants alternés. Au bout d'un moment, la jeune fille disparut soudain. Tu Uyen comprit alors qu'il avait rencontré une Tiên (fée).
Longtemps, il resta rêveur, sans pouvoir se décider de s'en aller.
A partir de ce jour, il ne cessa de penser à la rencontre. Il négligea de dormir pendant les cinq veilles de la nuit, il oublia de se nourrir pendant les six divisions du jour.
En un mot, il fut atteint de langueur d'amour, ce mal dont rien ne vous guérit.
Mais Tu Uyen se rappela les célèbres oracles du temple du Blanc Coursier, consacré au génie de la rivière To Lich. Il s'y rendit un soir, se prosterna et fit des prières. Il s'endormit dans le temple. Un vieillard aux cheuveux blancs flottant au vent, appuyé sur un bâton de bambou noueux, lui apparut en rêve et lui dit:
Demain matin, allez au Pont de l'Est et vous trouverez ce que vous cherchez.
Tu Uyen ne se sentit plus de joie et se réveilla.
L'aube pointait déjà. Il courut à l'endroit indiqué, n'y trouva personne, attendit longtemps. Sur le point de s'en aller, il vit un vieillard qui vendait des images. Tu Uyen les regarda et découvrit un portrait fidèle de la jeune fille qu'il avait rencontrée puis perdue.
Tu Uyen acheta l'image de la Tiên, la suspendit dans sa chambre. Il put enfin chasser son incurable tristesse et se remettre au travail.
A chaque repas, il posait deux bols, apportait deux paires de baguettes et ne servait point sans avoir invité la jeune fille du portrait, tout comme un mari devant sa femme.
Un jour, il crut la voir sourire en réponse à son invitation. Le lendemain, quand il revint de chez son maître, le repas était servi. Quand il y goûta, tout lui parut exquis. Le jour suivant, il fit semblant de sortir comme d'ordinaire et rentra soudain. Il surprit la jeune Tiên descendue du portrait en train de se parer. Elle dit sans lever les yeux:
- Mon nom est Giang Kieu et j'habitais au palais des Tiên. Il y a dans votre famille une grande source de bonheur prédestiné, ce qui a permis notre première rencontre. Puis, quand la reine des Tiên a vu que vous n'arriviez pas à oublier, elle m'a laissée descendre pour tenir votre maison.
Pour la garder, Tu UYen prit le portait et le déchira.
Giang Kieu retira une épingle de ses cheveux et fit apparaître un palais, avec un mobilier somptueux et une foule de serviteurs.
Il y eut un grand festin et les Tiên amies descendirent pour assister au mariage.
La vie de Tu Uyen et de Giang Kieu fut sans histoire.
ILs eurent un fils qui réussit brillamment dans ses études et quand il approcha de l'âge d'homme, Giang Kieu dit à son mari:
- en ce bas monde une vie ne dure pas cent ans.
Votre nom est d'ailleurs inscrit au Livre des Immortels.
Montons au royaume d'En Haut.
Elle remit à Tu Uyen une amulette. Deux grues descendirent du ciel pour les emporter. Avant de s'envoler, ils se retournèrent et dirent à leur fils:
-Attends-nous ici. Nous descendrons te chercher.
Les habitants du village ont bâti un temple à l'endroit où s'éleva la maison de TU Uyen, pour lui rendre un culte.