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Critique de Terre des oublis de Duong Thu Huong
Duong Thu Huong est une dissidente, une pasionaria qui a connu la prison au Vietnam, où elle continue de vivre en résidence surveillée. Elle a écrit des romans qui dénonçaient la compromission des intellectuels, la misère du peuple et la condition des femmes. Si Terre des oublis reste une fiction de contestation, c’est surtout un grand roman social, une histoire déchirante dans un pays marqué par la guerre. L’héroïne, Mien, fait partie des femmes qui se sont mariées très jeunes, ont vu aussitôt leur époux partir pour se battre et ne pas revenir. Après des années de veuvage, Mien s’est remariée avec Hoan, riche commerçant qui représente le Vietnam ouvert sur la modernité. Ils ont un fils de 7 ans, mènent une existence heureuse et confortable, jusqu'au jour où réapparaît le premier mari : Bôn, le vétéran communiste, le héros, le martyr. Mien fait ce qu'elle pense être son devoir ; elle abandonne sa vie bourgeoise, l’homme et l’enfant qu’elle aime, pour suivre Bôn. Si le thème n’est pas nouveau, la romancière lui donne une violence mais aussi une sensualité troublantes. Bôn, marqué par les combats, est la figure tragique du soldat qui rêve de retrouver son passé tel qu’il l’a idéalisé. L’auteur tourne autour des trois personnages, traquant leur désespoir, leur indécision, leurs métamorphoses. C’est à travers eux qu’elle brosse le portrait d’un pays qui vit encore dans la douleur de la guerre, d’un monde où les femmes les plus courageuses se heurtent à l’hypocrisie de la communauté. Duong Thu Huong décrit aussi le quotidien des riches et des pauvres, la promiscuité familiale, la saleté, mais aussi la gourmandise. Car, dans Terre des oublis, on ne cesse de manger… ou de mourir de faim.
Terre des oublis, de Duong Thu Huong, traduit du vietnamien par Phan Huy Duong, éd. Sabine Wespieser, 796 p., 29 ¤.