La narratrice vient de perdre son père, resté au Vietnam tandis qu'elle s'est exilée en France. Celui-ci a eu beau lui écrire, sa fille ne lui a guère répondu. Elle comprend aujourd'hui son erreur, trop tard.
Une lettre est-elle toujours écrite pour arriver à son destinataire ? N'est-elle pas condamnée à n'être qu'un rendez-vous raté, la preuve d'une absence, une parole qui ne saurait être prononcée de vive voix ? On y songe, à la lecture de la crépusculaire Lettre morte de Linda Lê, qui signait en 1999 son texte le plus puissant - et que l'on peut enfin redécouvrir en format poche. La narratrice vient de perdre son père, resté au Vietnam tandis qu'elle s'est exilée en France. Celui-ci a eu beau lui écrire, sa fille ne lui a guère répondu. Elle comprend aujourd'hui son erreur, mais il est désormais trop tard.
Cette jeune femme en deuil, qui croule sous les remords, s'adresse alors à l'un de ses amis, Sirius, dans un long soliloque aux airs d'exorcisme. Bercée par les illusions ou la naïveté, elle a été possédée par l'amour pour un homme - Morgue -, un intellectuel mondain et machiavélique qui n'éprouvait pas en retour les mêmes sentiments et, surtout, qui lui a peut-être fait oublier l'essentiel. Comment ne pas avoir de la rancoeur envers cet homme qui l'a fait passer à côté du véritable amour ? Ainsi présentée, cette Lettre morte pourrait laisser imaginer la pire complaisance mortifère ou doloriste et l'accumulation de symboles psychanalytiques pesants chères à l'édition française. Mais la langue épurée et l'énergie du désespoir de Linda Lê confèrent à ce monologue une force hors du commun, digne de Thomas Bernhard ou Stig Dagerman. A travers le portrait de ces deux hommes qui sont partis (et d'un oncle fou - formidable personnage), ce sont deux mondes que l'auteur dépeint, tentant de trouver entre ceux-ci sa place, son identité. Ou, tout simplement, une raison d'exister.
L'express.fr publié le 05/07/2011