La liberté en fumée
Avertissement : Cet article n’est pas un encouragement au tabagisme. Il ne fait que relater une réalité sociétale du Vietnam.
Les Vietnamiens fument beaucoup, partout.
Quand je demande à des amis pourquoi ils fument autant, voici en gros leur réponse unanime : « Que veux-tu, dans notre situation, c’est la seule liberté dont nous disposons. Sans le tabac, nous aurions cherché d’autres moyens d’évasion, alcool ou ma túy (drogues) ». C’est donc la liberté en fumée !
Aussi les cigarettes et le tabac sont-ils en vente libre partout, sur les trottoirs, à tous les coins de rue :
Pourtant, sur les paquets de cigarettes, les autorités sanitaires vietnamiennes, tout comme celles des pays « développés », avertissent clairement que « fumer peut provoquer le cancer du poumon » :
Cependant, un paquet de cigarettes blondes « américaines » (de fabrication locale sous licence) ne coûte (en avril 2010) que 20 000 VND (80 centimes d’euro), alors que son prix en France dépasse 5 euros.
À côté des cigarettes, on trouve aussi du tabac appelé thuốc lào ou la « drogue des Laotiens » (dénomination qui existe déjà dans le Dictionnarium Annamiticum, Lusitanum, et Latinum, d Alexandre de Rhodes, 1651). En effet, le tabac fut apporté au Vietnam au début du XVIIè siècle par les Européens à partir de Luçon (les Philippines), en passant par la Chine et enfin par le Laos. Et comme en Europe, le tabac était alors utilisé comme médicament contre certaines maladies dites « froides » (migraine, dysenterie, asthme…), d’où son appellation de thuốc (drogue ou médicament). Puis l’engouement pour le tabac gagnait rapidement toutes les couches de la population, et une ca dao (chanson populaire) de l’époque proclamait même :
Ba ngày có thể không ăn,
Hút thì không thể cấm ngăn một giờ.
(On peut rester trois jours sans manger,
Mais fumer, on ne pas s’en empêcher une heure)
(Lê quý Đôn, Vân đài loại ngữ (1773), Tập III, bản dịch quốc ngữ của Tạ Quang Phát, Phủ Quốc-Vụ-Khanh Đặc trách văn hóa xuât bản, Sài Gòn, 1973, p. 196-198).
Le tabac se fume en pipe sèche ou en pipe à eau (điếu) :
Une jolie pipe sèche en ivoire et argent.
Une pipe à eau en porcelaine du XVIIIe siècle (fin de l’époque des Lê Postérieurs).
Điếu cày ou pipe (à eau) de laboureur qu’on voit fréquemment encore aujourd’hui sur les trottoirs de Hanoi, bien que les fumeurs n’y soient que des citadins. Cela montre que la traduction de thuốc lào = tabac rustique du Từ điển Pháp-Việt (Dictionnaire vietnamien-français) de Lê Khả Kế et Nguyễn Lân (NXB Khoa Học Xã Hội, Hanoi, 1994, p. 1383) est plutôt anachronique et péjorativement inexacte.