Huong Thanh, née à Saïgon, exilée à Paris dans les années 80,
nous rappelle l’existence d’un ailleurs qui scotche par sa différence. Son chant est si inhabituel (pour nous occidentaux) que certains le trouveraient trop « dépaysant » … les voyages ne font pas le bonheur de tous. Celui-là de voyage vaut, pour ceux qui
ont l’âme vagabonde, son pesant d’or et son lot de sensations. Il mérite bien plus qu’un aller-retour éclair.
Fragile Beauty » porte bien son nom.
A quoi le titre se réfère t-il ? A la beauté fragile et éphémère de l’existence, thème cher aux bouddhistes, thème fécond dans la poésie et les pop songs du Vietnam dont les textes ici sont issus ? A la beauté fragile d’une voix plus maitrisée que jamais et des paysages sonores
bizarroïdes dans lesquelles elle évolue ? Surement un peu des deux, qui sait. Avec cet album, Huong Thanh prouve qu’elle a su s’enrichir de cet ailleurs forcé, elle assume ses choix et s’affirme comme interprète.
Pour Nguyên Lê, le sorcier de Barbès,
l’enfant du rock post–hendrixien et du jazz le plus libre, ce disque (dont il est producteur, arrangeur, réalisateur, interprète), c’est le prolongement « d’une quête extramusicale
». La confirmation d’un retour aux sources tardif, qui a du sens. Le franco-vietnamien a imaginé un nouveau décor autour de la voix dominante de son ami et de ses guitares à lui. Un décor plus épuré, plus dépouillé qu’avant, même si le casting est toujours aussi international (Renaud Garcia-Fons, Stéphane Guillaume, Etienne Mbappé, Paolo Fresu), et même si les associations de timbres insensées qu’il propose font encore le grand huit côté sonorités - ici un koto japonais et un saxophone soprano, un sampler, là undan nguyêt (luth vietnamien en forme de lune), une flûte ancienne, un synthétiseur et un balafon vietnamien en bambou nommé Trung pour lequel Nguyên Lê a écrit des parties qui seraient plutôt inspirées par l'Afrique. « Une des idées directrices était justement d'utiliser les instruments asiatiques pour les faire sonner autrement, les faire rejoindre une autre tradition, celle de l'Afrique qui m'inspire toujours beaucoup depuis Ultramarine. Le koto est également souvent traité comme une kora, mais avec de nouvelles inflexions ».
La formule du tandem, malgré cet imposant dispositif, s’est réduite.
Recentrée. Moins dispersée, moins composite, moins gourmande de métissages. Comme pour revenir à une sorte de fusion originelle apaisée et apaisante. A un groove plus contemplatif.
Entre chansons populaires vietnamiennes,
berceuses anciennes, thèmes sacrés et compositions originales,
les douze titres de « Fragile Beauty » ont le même mood. Malgré leur diversité de couleurs et de sujets, ils racontent la même histoire : celle des enfants de la diaspora qui, par la force des choses, s’inventent une identité bien à eux. L’histoire de Huong Thanh et de Nguyên Lê nous parle, même si l’on n’en comprend pas les mots. Leur musique hybride, à double sens, nous fait voyager et épanche notre soif d’inconnu, pour peu que l’on sache lâcher prise.
« Fragile Beauty » porte bien son nom, oui.
Mais pas tout à fait non plus. Au-delà de cette beauté sereine
et exotique, derrière cette vulnérable carapace, on sent une vraie assurance, une fermeté de ton, comme une tension entre les lignes ondoyantes. On y entend aussi comme l’expression d’un message, très personnel.Jonathan Duclos-Arkilovitch
FRAGILE BEAUTY
ACT 9451-2
Sortie en France et Suisse: le 26 octobre 2007
Huong Thanh & Nguyên Lê
Le CD: Fragile Beauty
– Huong Thanh & Nguyên Lê – ACT 9451-2 – LC 07644
Avec:
Huong Thanh
– vocals
Nguyên Lê – electric & acoustic guitars, synthesizers, computer
Mieko Miyazaki – koto
Hao Nhiên Pham – monocorde (dàn bau), 16-strings zither (dàn tranh), sao & meo bamboo flutes
Nguyên Van-Hong – backing vocals
Paolo Fresu – trumpet & flugelhorn
Stéphane Guillaume – soprano sax & flutes
Renaud Garcia-Fons – pizz & arco acoustic 5-string bass
Etienne Mbappé – fretless bass
Alex Tran – percussions (cajon, udu, congas, bendir, cymbals, shakers, etc.)
Francis Lassus – percussions (radiator, pendeiro, cymbals, brushes)
Illya Amar – bamboo balafon (trung)
Dominique Borker - piano
extraits musicaux du nouvel album :