Des formidables réalisations de l'EFEO de Hanoi.
Chers ami(e)s, je voudrais vous informer des formidables coopérations que Philippe Le Failler de l'Ecole Française d'Extrême-Orient de Hanoi réalise en faveur de la région de Lào Cai - Sapa.
Dông Phong
Lettre de l’AFRASE 2011
Cahier de terrain : la collecte des manuscrits Dao dans la province de Lào-Cai, nord du Vietnam
par Philippe Le Failler, EFEO Hanoi, février 2011
Dans la province de Lào-Cai vivent plus de 80000 Dao (Yao) répartis sur 500 villages et 8 districts, soit 13% de la population. À ce titre, ils constituent un des groupes ethniques les plus importants de la province, un des plus dynamiques aussi du point de vue économique. On distingue ici trois branches, les Dao Đỏ (Dao rouges), les Dao Quần Trắng (“Dao à pantalons blancs”) et les Dao Tuyển (Dao Làn Tiẻn). Toutes ces communautés conservent des manuscrits anciens usant de caractères chinois, prononcés en langue Dao, auxquels s’ajoutent des caractères créés par les Dao pour des termes qui leurs sont propres. Il faut noter que, parmi les 17 groupes ethniques de la province, et si l’on omet les Vietnamiens Kinh et ceux d’origine chinoise, les Dao sont le seul groupe possédant une tradition écrite affirmée. Une enquête de 1992 menée sur un échantillon de dix villages Dao Tuyển avait recensé 998 livres écrits en caractères. Les années écoulées ont montré la disparition rapide de ces ouvrages.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées, dont la première tient au relatif désintérêt des Dao eux-mêmes pour ces textes. Si la jeune génération parle le Dao, familière de l’école vietnamienne, elle ne le lit plus. De fait, l’apprentissage des caractères a été délaissé depuis longtemps et seule une transmission du père au fils a permis d’en maintenir l’usage chez un nombre limité de membres du groupe. Lorsqu’un ancien trépasse, les ouvrages en sa possession se trouvent en déshérence et, trop souvent, sont vendus aux touristes ou aux antiquaires. Un autre facteur expliquant la disparition de ces ouvrages tient aux conditions de conservation de ces livres, menacés par les insectes et soumis à un climat humide peu propice à la pérennisation du papier.
Or ces livres, manuels taoïstes, précis de médecine traditionnelle, de géomancie, épopées, etc. constituent un patrimoine en péril que les autorités provinciales ont pris l’initiative de préserver. En 2006, un programme de récolement a donc été créé par M. Trần Hữu Sơn, directeur du service culturel de la province de Lào-Cai, Philippe Le Failler du centre de l’EFEO au Vietnam et Bradley Davis de l’Université de l’état de Washington, à Seattle. Cette entreprise a été financée à hauteur de 74000$ par la Ford Foundation qui disposait alors d’un bureau de représentation à Hanoi.
Les grandes étapes du projet se décomposaient comme suit : (1) Localisation et indexation des ouvrages anciens ; (2) Achat, photocopie ou photographie numérique des livres ; (3) Traduction et publication d’ouvrages sélectionnés ; et (4) Établissement d’un réseau éducatif permettant de redynamiser l’enseignement des caractères. En effet, la préservation des textes n’avait pas grand sens si l’on acceptait que disparût une capacité à les lire au sein des villages Dao. Parallèlement, une des ambitions du projet, et non la moindre, visait à contribuer à la professionnalisation des jeunes cadres du service culturel de la province de Lào-Cai et d’améliorer ainsi leur capacité à gérer un projet autonome par une formation à la méthode et à la responsabilisation.
Il est désormais temps de faire un bilan. Plus de 11000 textes ont été répertoriés dans les districts de Bảo-Thắng, Bảo-Yên, Bắc-Hà, Văn-Bàn, Sa-Pa, Bát-Xát et Mường-Khương. C’est un premier pas pour signaler aux autorités villageoises comme aux détenteurs de ces livres l’intérêt qu’ils recèlent. Il va de soi que cette démarche reste volitive et qu’elle est soumise à l’accord des détenteurs des textes. Si l’achat de ces ouvrages n’a été réalisé qu’occasionnellement – car il faut éviter de démunir les populations –, les procédés de reproductions courants furent employés, et surtout l’image numérique, qui nous ont permis, après traitement, d’archiver informatiquement les textes en format PDF. Plus de 1000 textes ont été traités de la sorte, formant l’ébauche d’une bibliothèque numérique qui ne représente cependant qu’une fraction des ouvrages recensés.
À y regarder de près, on constate que les 11614 textes répertoriés portent certes un titre mais qu’il s’agit, pour beaucoup, de compilations abordant, au gré des chapitres, des sujets variés ayant trait à la vie des Dao. Chansons pour enfants, poèmes épiques, histoire des lignages, coutumes funéraires, descriptions de cérémonies, artisanat ou élevage. La liste est longue des sujets abordés, et certains pourront faire l’objet d’études spécifiques.
En prélude à la numérisation, il revint à un comité établi au sein même du service culturel, composé pour partie de lettrés Dao, de définir les livres présentant un intérêt notable et d’écarter les copies d’un même ouvrage présentées sous des titres différents. Si les textes les plus anciens datent du XVIIIe siècle, ce sont les livres du XIXe siècle qui constituent la majorité du corpus. Ces documents seront visibles à la bibliothèque du service culturel puis feront l’objet d’une diffusion plus large sous un format électronique, DVD ou autre.
Enfin, le volet éducatif du programme nous a réservé les plus intéressantes surprises. Dans un premier temps, trois classes d’enseignement des caractères ont été créées au sein de villages situés dans le district de Bảo-Thắng ; puis l’autorisation a été donnée pour deux classes supplémentaires dans les districts de Bảo-Yên et Văn-Bàn. Les cours de grammaire, de syntaxe et de calligraphie se tiennent deux ou trois soirs par semaine au domicile de l’enseignant et rassemblent de 20 à 30 élèves. Si les filles étaient absentes des premières classes, elles vinrent en petit nombre s’agréger aux garçons, nous rappelant à point nommé que les Dao possèdent une tradition de chants alternés. Cependant, les manuels restent rares qui ne sont que manuscrits ou, au mieux, des photocopies. Le projet vient de procéder à l’édition bilingue des premiers textes choisis et prévoit d’en poursuivre la publication.
Le processus pouvait sembler timide, mais il faut prendre en considération l’aspect novateur de cette initiative qui se situe à contre-courant de la politique assimilatrice menée ces quarante dernières années. La scolarisation en vietnamien, prélude à l’alphabétisation de masse, ne pouvait alors s’imposer que par l’abandon de l’enseignement des caractères. La première étant désormais un fait acquis, la seconde peut reprendre, modestement, comme il en va d’une langue régionale en France.
Ce que nous n’avions pas anticipé, c’est l’essor qu’allait prendre ce micro-réseau éducatif dont les premiers éléments avaient été élaborés dans un climat peu propice. Suscitant quelques froncements de sourcils, le projet ambitionnait quelques classes et, du reste, ne disposait pas des ressources financières permettant d’étendre l’expérience. Nous fumes pris de vitesse et avant même l’achèvement du projet, la communauté Dao en déduisit que les autorités ne s’opposaient pas, ou plus, à ce type d’initiative. Par conséquent, les Dao entreprirent de fonder leurs propres classes sur le modèle des classes indépendantes (tự lập) et, partant, pérennisaient et amplifiaient notre ambition initiale. En 2008 on en comptait 16 s’ajoutant aux classes du projet et les thèmes abordés tournaient généralement autour de la littérature traditionnelle, des mythes et surtout de l’éducation morale des jeunes. En somme, si le projet a permis, dans une certaine mesure, de débloquer une situation ainsi que de fournir quelques moyens, c’est surtout de la communauté Dao elle-même qu’est venu l’élan déterminant car elle est parvenu à s’affranchir des différentes tutelles et à reprit à son compte une initiative qui lui est avant tout destinée. Les enseignants, tous Dao, sont conscients que leur travail sert certains intérêts de l’État, puisque celui-ci ne s’y oppose pas, mais assument néanmoins la responsabilité de leurs propres classes qu’ils sont légitimement fiers d’avoir fondées.
En questionnant les élèves sur leurs motivations, les réponses qui nous furent apportées mirent en avant l’intérêt intra familial. La jeune génération y vit un moyen de se rapprocher ainsi de leurs grands parents car seuls dans la famille à lire les caractères. Certains avancèrent l’idée qu’il s’agissait aussi d’une voie d’accès à l’ensemble des textes chinois, et partant d’un élément économique valorisant. Mais, pour y avoir assisté, ces classes ne semblent pas un exercice imposé aux jeunes, et ceux-ci, entre travaux agricoles, école et flâneries sur internet pour certains, semblent y trouver leur compte. Si elles contribuent à n’en pas douter au renforcement des liens intra-communautaires, ces classes témoignent tout autant d’un rééquilibrage entre la nécessaire intégration au Vietnam en plein développement et, d’autre part, l’affirmation du sentiment d’une identité propre.
YouTube - ‪Les pétroglyphes de SaPa‬‏