HANOI — Un bouquet de télévision franco-vietnamien payant a obtenu au Vietnam les droits sur les meilleurs matches de football européens, une révolution dans un pays obsédé par le ballon rond, qui a entraîné les plus hautes instances de l'Etat dans une polémique politique.
Vietnam Satellite Digital Television Company (VSTV), société mixte créée par le groupe français Canal+ et la télévision nationale vietnamienne VTV, a lancé en janvier le bouquet de chaînes de télévision par satellite K+, devenant ainsi la première entreprise étrangère à pénétrer le secteur audiovisuel du pays communiste.
Quelques mois plus tard, K+, appliquant le modèle qui a fait le succès de Canal+ en France et en Europe, a acquis les droits de diffusion exclusifs des championnats espagnol et italien. Et surtout, ceux des plus beaux matches de la très populaire "Premier League" anglaise, le dimanche.
La levée de boucliers a été aussi immédiate que violente.
"Pendant des années, s'asseoir devant la télévision pour regarder les matches de la Premier League anglaise le week-end était une partie de la vie des fans vietnamiens. Cela avait une valeur culturelle et beaucoup pensent que cela doit être protégé", a notamment estimé le quotidien d'Etat Vietnam News.
A 250.000 dongs par mois (9 euros), l'abonnement incluant la chaîne K+1, qui diffuse les matches exclusifs, est un luxe dans un pays où le revenu moyen par habitant est de 1.000 dollars par an.
"Tout le monde s'en est mêlé, y compris dans les instances du gouvernement et du parti, sous l'angle +les étrangers volent aux pauvres leur pain quotidien+", raconte un observateur de la vie économique vietnamienne.
Le gouvernement est en effet intervenu. "Le ministère de la Communication et de l'Information a demandé aux responsables de VTV de partager les droits de diffusion" des matches anglais avec d'autres chaînes, explique Vu Quang Huy, directeur adjoint de VTC, télévision publique et principale concurrente de VTV.
"Mais cette demande reste sans réponse".
Le directeur général adjoint de K+, Arnaud de Villeneuve, estime pourtant avoir fait un geste: K+1 est désormais visible sur une télévision sur internet et sa société discute avec deux cablo-opérateurs pour qu'ils diffusent aussi la chaîne du football.
Mais le contrat de K+ avec la société de marketing MP & Silva -- qui a acheté les droits aux ligues européennes pour les revendre par lots -- ne lui permet pas de rétrocéder des matches individuels, explique-t-il, en dénonçant des "cabales" lancées par des concurrents.
"Il ne faudrait quand même pas exagérer, on n'a pas coupé le riz aux Vietnamiens", insiste M. de Villeneuve. Regarder le football anglais "ne fait pas partie des besoins d'information de base" même si "les Vietnamiens s'intéressent plus au football que les Italiens".
Et dans un pays où le respect des copyrights est un combat en dépit de son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce, certains concurrents ont diffusé des matches dont K+ avait l'exclusivité, accuse-t-il.
Le bouquet K+ a en tout cas gagné en notoriété. Selon M. de Villeneuve, les abonnements se sont accélérés, pour dépasser largement les 100.000, dans un pays de 86 millions d'habitants où il estime le nombre d'abonnés à la télévision payante à 2 millions.
Mais la société n'est pas à l'abri d'un revirement du pouvoir, selon un diplomate étranger, qui ne serait "pas surpris" que les autorités l'obligent "à trouver une sorte d'accord" avec ses concurrents.
Et d'ajouter: "Le fait est que le football est un intérêt de base du peuple vietnamien".