Le divorce et les enfants
Une amie sociologue vient de me faire savoir que le district de Bình Thanh (Hô Chi Minh-Ville) comptait 900 divorces en 2004 et 800 en 6 premiers mois de 2005. La moitié des couples concernés sont d'entre 25 et 30 ans d'âge.
Il y a 10 ans, dans l'arrondissement de Ba Dình (Hanoi), durant la période 1987-1995, on a enregistré par an une moyenne de 400-500 divorces sur 2.000-3.000 mariages, soit une moyenne de 2 sur 10.
Chiffres significatifs qui, dans des cas caractérisés, disent le degré d'émancipation des femmes qui osent décider de leur propre sort, défiant une société plus ou moins confucianisée. Les femmes traditionnelles ne vivent que pour leurs enfants, le mariage n'étant considéré que comme moyen de procréation en vue de perpétuer le culte des ancêtres.
Cette conception féodale rejoint pourtant la pensée de la thérapeute américaine Judith Wallerstein selon laquelle mieux vaut un mariage boiteux qu'une séparation, même réussie, et cela dans l'intérêt des enfants. Elle a donné cette conclusion dans The Unexpected Legacy of Divorce (New York, 2000) après avoir observé les ravages chez de nombreux enfants du divorce.
Conclusion qui pourrait choquer plus d'une femme occidentale, habituée à l'individualisme et à l'amour libre, la sociologue canadienne Micheline Lachance, auteur des Enfants du divorce (Montréal, 1979) a relevé le défi (Courrier International, N°566, 2001).
Il est évident que le divorce cause des effets néfastes aux enfants. Marie-Christine Saint-Jacques, professeur qui effectue depuis des années des recherches sur les familles en transition, et qui est du même avis que Lachance, révèle entre autres le sombre côté : "Quelque 13,7% des enfants ont l'impression qu'ils ne valent rien, 18,3% ont déjà fait une tentative de suicide, 16,7% ont eu des démêlés avec la police et 12,3% des problèmes de drogue. Un sur 10 a fait une fugue". Wallerstein a constaté chez 131 enfants qu'elle avait suivis au moment du divorce de leurs parents, 25 ans plus tôt, que "des séquelles graves étaient apparues à la maturité : plus vulnérables aux drogues et à l'alcool, emplois moins bien rémunérés. Les enfants du divorce ont des relations sexuelles précoces, les filles se marient très jeunes et souvent déjà enceintes, leur union est brève. Dans une famille reconstituée ou monoparentale, de 20% à 30% des enfants ont des problèmes de délinquance, de drogue et de prostitution".
Est-ce à dire qu'il faut éviter le divorce à tout prix dans l'intérêt des enfants ? Wallerstein dit oui : "Les enfants n'ont pas besoin que leurs parents s'adorent ni même qu'ils soient polis l'un envers l'autre. Ils ont besoin qu'ils restent ensemble". Lachance dit non : "Rester ensemble +pour les enfants+ n'est pas une solution. Les invectives volent, les portes claquent, l'atmosphère devient insupportable...". "Ça les détruit !", dit M.C. Saint-Jacques.
Une séparation bien vécue, suivie ou non de la vie dans une famille recomposée peut s'avérer une expérience positive, voire enrichissante pour les enfants. Environ 70% des enfants finissent par s'adapter à la séparation de leurs enfants. M.C. Saint-Jacques remarque : "Sur le coup, ils subissent un stress et sont perturbés", mais tout ne tourne pas à la tragédie "ça dépend de la capacité de chacun de faire face aux événements stressants. Si l'enfant se confie et a le soutien des siens, il s'adapte rapidement". Elle a étudié l'adaptation de 232 jeunes âgés de 12 à 16 ans vivant dans une famille recomposée. Ceux-ci ont une bonne estime de soi. Environ 87% se disent satisfaits d'eux-mêmes et 93% sont heureux.
Par contre, tout le monde pourrait souscrire à cette opinion de nombreux parents divorcés : "Il faut cesser de banaliser le divorce. Ça devrait être l'exception. Comme l'avortement n'est pas un moyen de contraception, mais un choix tragique".
Il me semble qu'au Vietnam, cette recommandation est inutile, surtout dans les campagnes où vivent 70-80% de la population. La morale confucéenne reste vivace. Certaines statistiques concernant la banlieue rurale de Hanoi et quelques districts de la moyenne région montrent que plus de 50% des divorces de jeunes couples sont imposés aux femmes par des maris peu raisonnables (brutaux, jeu d'argent, concubinage, drogue...). Seules les jeunes femmes, plus ou moins instruites, bénéficiant d'un gagne-pain stable, peuvent se payer le luxe du divorce en toute liberté.
Source : Le Courrier du Vietnam