Lê Thu chante au Vietnam ou le retour aux sources d'une Viêt kiêu
C'est la première fois qu'elle se produit à nouveau dans le pays qui l'a vue naître. Fin août, la chanteuse Lê Thu, Viêt kiêu des États-Unis, a donné un concert à Hô Chi Minh-Ville. Rencontre croisée entre son spectacle et ses souvenirs.
Les 24 et 25 août. Deux soirées où le Conservatoire de Hô Chi Minh-Ville est plein à craquer. Lê Thu chante sur scène. Le concert débute avec la chanson lyrique Dêm dông (Nuit d'hiver) de Nguyên Van Thuong. La voix grave mezzo-alto s'élève et une sensation familière s'empare de l'auditoire, bercé il y a plusieurs dizaines d'années par son répertoire. Répondant à l'attente de son public, Lê Thu interprète une vingtaine de chansons avec un enthousiasme teinté d'un brin d'excitation, d'autant plus que c'est la première fois qu'elle chante dans un cadre "académique", accompagnée d'un orchestre de niveau national. Le spectacle est honoré de la présence de Cao Minh et Trong Tân, considérés comme les 2 plus belles voix de musique de chambre du Sud et du Nord. Lê Thu fait remonter des souvenirs enfouis, joue avec les sentiments de son auditoire et le transporte sur son ton clair et élégant, tout en sachant manier l'humour.
Un rappel au terme de ce show de 2 heures, et Lê Thu s'éclipse. Les spectateurs, cloués dans leur siège, ne semblent pas réaliser que le spectacle vient de s'achever.
Deux mois auparavant, toujours à Hô Chi Minh-Ville, Lê Thu a également participé au spectacle "Roi lê ru nguoi" (Les larmes berceuses), réunissant des oeuvres de feu le compositeur Trinh Công Son. "Bien que je me sois produite bien des fois dans de grands théâtres, mon coeur palpite plus que d'accoutumée lorsque je chante lors de ces soirées," assure-t-elle. L'explication est simple : s'il s'agit d'un 4e retour sur sa terre natale, c'est en revanche la première fois que Lê Thu y donne une représentation. "Après mes 3 premières visites au Vietnam, j'ai décidé de revenir pour chanter. Beaucoup d'artistes Viêt kiêu sont revenus, pourquoi pas moi ?," explique celle qui était l'une des premières grandes voix du Sud d'avant 1975.
Dans l'arrière-scène, en voyant les musiciens et décorateurs préparer avec passion le spectacle, Lê Thu se sent "heureuse de travailler avec les jeunes talents du pays". Quant aux artistes vietnamiens à côté desquels elle évolue, elle remarque qu"ils chantent très bien", tout en se plongeant dans les souvenirs surgissant des profondeurs de temps...
Rétrospective
Une enfance heureuse passée à Hà Dông (à une dizaine de kilomè- tres de Hanoi), terre d'origine de sa mère. Elle y a vécu jusqu'à ses 6 ans. Pour cette déracinée, les images de sa maison de 3 pièces donnant sur un grand étang et celles du bassin d'eau de pluie dans la cour étaient autant de bouées. Lors de son premier retour au pays, Lê Thu s'est rendue, naturellement, à Hà Dông. Mais les scènes d'antan ont toutes disparue, même l'étang du village. Seules demeurent les soies. Tout au long de sa carrière, avant 1975 puis au sein de la communauté vietnamienne des États-Unis et enfin lors de ses spectacles à Hô Chi Minh-Ville en 2007, Lê Thu porte des áo dài (tunique traditionnelle) en soie. "Je monte souvent sur scène en áo dài, car c'est la robe caractéristique des femmes vietnamiennes. Je la trouve très belle, elle qui épouse les formes du corps. Ma musique est très vietnamienne, le áo dài est donc un choix tout naturel," confie-t-elle.
Sa mère était longtemps son refuge comme son modèle. Elle a donné naissance à 8 enfants, mais seule Lê Thu a survécu. Passant du Nord au Sud, elle l'a élevée toute seule. Alors que son mari emmenait leurs enfants, fin avril 1975, à l'aéroport pour partir aux États-Unis, Lê Thu a décidé de rester auprès de sa mère. L'artiste est alors entrée dans la troupe de Kim Cuong, devenant même célèbre pour son interprétation de la chanson Hà Nôi niêm tin và hy vong (Hanoi, la conviction et l'espoir) de Phan Nhân.
Lorsque sa mère est décédée, Lê Thu était, enfin, aux États-Unis, après un long voyage plein d'amertumes, les jours pénibles pour s'intégrer à sa nouvelle vie et les bouleversements de sa vie privée...
Son retour est en fait beaucoup plus tardif que d'autres chanteurs évoluant au sein de la communauté vietnamienne des États-Unis comme Elvis Phuong, Huong Lan ou Tuân Ngoc. Elle n'est plus toute jeune, la soixantaine déjà, mais demeure fidèle à ce que fut son parcours. Ainsi, son programme n'est pas organisé dans un grand théâtre mais dans un lieu "académique", loin du tapage. "Je veux que mes soirées musicales soient préparées soigneusement afin que chaque spectateur se sente respecté. L'espace du Conservatoire de Hô Chi Minh-Ville me paraît idéal. Au lieu de grands spectacles, je préfère un environnement modeste mais chaleureux. J'aime être proche de mon public," explique-t-elle.
Malgré un agenda surchargé à l'étranger, la chanteuse a décidé de déplacer les dates de ses spectacles pour passer un trimestre au Vietnam. "Je suis prête à chanter beaucoup pour les spectateurs du pays," assure Lê Thu. Elle projette même d'y réaliser un album regroupant les chansons, anciennes comme contemporaines, qu'elle aime le plus. L'oeuvre Tôi mong vê Hà Nôi (J'espère revenir à Hanoi) du musicien Duong Thu sera le titre de cet album. "J'aime les paroles de cette chanson que je sens miennes," dit-t-elle doucement en fredonnant :
"Tôi mong vê Hà Nôi,
Dê nghe gio sông Hông thôi…"
(J'espère revenir à Hanoi,
pour entendre souffler le vent du fleuve Rouge…).
Source : Hông Nga/Courrier du Vietnam/(09/09/2007)