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Le premier ministre chinois réagit à une enquête sur sa fortune
Le Monde.fr | 29.10.2012 à 12h28
Par Brice Pedroletti, Pékin (correspondant)
Le premier ministre chinois Wen Jiabao (ici en mai 2012) est visé par une enquête du "New York Times" sur les avoirs colossaux de sa famille. | REUTERS/PETAR KUJUNDZIC
Mis en cause par une enquête du New York Times publiée le 25 octobre sur les avoirs colossaux de sa famille, estimés à 2,7 milliards de dollars (2,1 milliards d'euros), le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a réagi samedi soir par le truchement de deux avocats pékinois. Le communiqué publié par ceux-ci fait valoir entre autres que "la prétendue fortune cachée des membres de la famille de Wen Jiabao n'existe pas". Que la mère de Wen, qui selon l'article du New York Times a détenu un portefeuille d'actions dans l'assureur public Ping An estimé à 120 millions de dollars en 2007, la dernière année où il a été possible de le vérifier, "n'a jamais eu de revenu ou de propriété en dehors de son salaire et de sa retraite". Elle est âgée de 90 ans.
Tout en affirmant que le premier ministre chinois "n'a jamais joué aucun rôle dans les activités commerciales des membres de sa famille, et a encore moins permis aux activités des membres de sa famille d'avoir une influence sur la formulation et l'exécution [par lui] de politiques", les avocats promettent de "continuer à donner des clarifications au sujet des comptes rendus mensongers" du New York Times et "se réservent le droit de le poursuivre en justice".
Les informations liées à l'enquête du quotidien américain ont fait l'objet d'une censure très stricte en Chine : le site du New York Times, en anglais comme en chinois (la version chinoise existe depuis quelques semaines seulement) est bloqué. Et la presse n'en parle pas. Malgré la censure des réseaux sociaux, un grand nombre d'internautes ont commenté les informations, tout en faisant souvent valoir que le fait que l'épouse et le fils de M. Wen sont à la tête d'affaires fleurissantes est largement connu en Chine.
LE FILS DE M. WEN, CONNU SOUS LE NOM DE "WINSTON WEN"
L'enquête est embarrassante pour le premier ministre, et au-delà, le parti, puisqu'il est la seule personnalité politique chinoise non seulement à pousser à des réformes politiques, mais à disposer d'un capital de sympathie parmi les citoyens en raison de la compassion qu'il exprime régulièrement pour les victimes et les laissés-pour-compte. L'article de David Barboza, le correspondant à Shanghai du New York Times, s'intéresse entre autres aux investissements réalisés par des membres de la famille dans l'assureur Ping An avant son introduction en bourse, via une structure nommée Taihong et basée à Tianjin, la ville natale de M. Wen.
Taihong est piloté par une femme d'affaires, Duan Weihong, décrite comme une proche amie de l'épouse de Mme Wen. Mme Duan prétend en substance avoir recouru à des prête-noms, ceux des parents de proches (comme donc la mère de Wen Jiabao), afin de ne pas apparaître comme la seule investisseuse dans Ping An. Zhang Beili, l'épouse de Wen Jiabao, est connue en Chine pour avoir mis en place dans les années 1990 les principales structures de l'industrie de la joaillerie, et d'avoir géré leur privatisation partielle.
Or, un certain nombre d'entités créées à cette occasion ont pour actionnaires d'anciens collègues ou des membres de sa famille. Ces placements fructueux ont en partie financé les débuts du fils de M. Wen, connu sous le nom de "Winston Wen", dans la finance. Celui-ci a créé un fonds d'investissement New Horizon Capital très profitable. Le frère cadet de Wen Jiabao contrôlerait, lui, selon le quotidien américain, quelque 200 millions de dollars d'actifs, notamment dans le traitement des eaux.
Les autorités chinoises, a révélé le New York Times, ont tenté de dissuader le journal de publier l'article. Le consul chinois à Washington est ainsi allé rencontrer le directeur du journal avant la publication.
INCERTITUDE AUTOUR DE LA TRANSITION AU SOMMET
Se défendant d'avoir été instrumentalisé par un camp politique opposé à Wen Jiabao, David Barboza a expliqué sur son blog, et en privé, qu'il travaille depuis un an sur l'enquête et que "des milliers de pages de documents" ont été commandités par le New York Times à des avocats spécialistes des registres d'entreprise. Il a affirmé n'avoir reçu aucun document d'une source extérieure et de n'avoir rencontré personne qui cherche à révéler des choses sur Wen Jiabao.
Ce mini-scandale n'en est pas moins lourd de conséquences pour le pouvoir politique chinois, dans un contexte de défiance généralisée vis-à-vis des responsables politiques, d'agitation sociale croissante et d'incertitude autour de la transition au sommet : "Comme par hasard, Bo Xilai s'apprête à être jugé pour corruption massive. Quand on analyse ce qui est sorti sur Wen Jiabao avec des yeux de politologues, et en prenant en compte le fait que Bo Xilai représente le camp opposé à M. Wen, cela signifie que la lutte se fait à couteaux tirés. Qu'on ne pense plus aux intérêts généraux de la caste, mais à ceux de sa faction", explique le chercheur Jean-Philippe Béja, basé à Pékin pour le CNRS.
En outre, Wen Jiabao est le seul homme politique avec Bo Xilai, à avoir créé une "connexion émotionnelle" avec les Chinois. " En les décrédibilisant, cela va continuer à briser la légitimité du parti " poursuit-il. Paradoxalement, M. Wen peut aussi se trouver "libérer" des soupçons d'enrichissement qui entourait sa famille et se retrouver avec davantage de marge de manœuvre...