Gilles Bernheim, grand rabbin de France :
« Toute langue donne le monde à ceux qui la parlent ; d'où la gravité du manquement qu'il y aurait à ne pas assurer à tous la parfaite maîtrise d'une langue. A l'école, au collège ou au lycée de donner à la grammaire et aux lettres le temps qu'il faut, éveiller l'amour des mots et des textes, développer le scrupule du terme et de la tournure justes qui expriment la pensée juste. Naturellement, l'école, ce n'est pas un monde clos.
Que pourront les maîtres s'ils doivent aller à contre-courant de l'information, de la publicité, du discours officiel et forcer une indifférence générale ? Si la France redoute, non sans raison, de perdre ses valeurs décisives, elle doit se regrouper autour de son école et honorer ses maîtres. Autre enseignement du judaïsme : on peut être le tenant indéfectible d'une fidélité lointaine, tout en étant loyal envers un sol sur lequel on n'est pas né. Les juifs en Occident ont fait la preuve que l'on peut être à la fois bon citoyen, plus que cela, attaché à son pays, et conserver le souvenir vivace et le respect d'une origine plus lointaine.
Mais l'identité n'est pas qu'un héritage. Celui-ci ne vaut que pour autant qu'il nourrit un projet. Il n'y a pas d'identité française sans projet français : être d'un peuple qui se fait gloire d'avoir souvent parlé et pensé juste, qui en sa longue histoire s'est montré brave et fécond en inventions, qui a porté haut de grands principes qui ont éclairé le monde, qui continue d'offrir un refuge relatif contre bien des misères et des violences, tout en s'efforçant de se gouverner selon le droit plutôt que selon l'arbitraire. Ce projet français peut être, pour les jeunes, un programme exaltant s'il est sans relâche expliqué et illustré.
Et puis ne faut-il pas se demander si l'Occidental en général, ou le Français en particulier, réputé "cérébral", ne s'est pris pour un pur esprit ? Renoncement délibéré aux grands rites citoyens, aux cérémonies et aux formes. Et par ailleurs une prétendue lucidité critique qui s'exprime sans égard aux circonstances et au public. Tout cela alimente un climat désabusé et le dénigrement de tout par tous, ce fameux "mal français". Il faut donner à l'imagination sa part. L'homme a besoin de cérémonies, de symboles, et même du ressassement des évidences».
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/28/la-nation-par-les-reves-par-gilles-bernheim_1273480_3232.html