Je ne te jette pas la pierre, Pierre. Tu as raison, et c'est d'ailleurs ça le sens profond du titre de la pièce. Tu peux croire au père Noël, mais gaffe, gaffe! C'est bien une ordure.
Ça rappelle de très près les pyramides de Ponzi, en plus socialement acceptable.Envoyé par HUYARD Pierre
Nous avons eu ma femme et moi l'occasion de toucher du doigt il y a deux semaines un autre monde encore, qui rappelle Ponzi aussi.
Un ami d'enfance de ma femme nous fait signe alors que nous sommes à Saigon avec deux heures à tuer. Il nous propose presque tout de suite un rendez-vous avec une copine à lui, elle aussi de la même origine. Après avoir fini le thé à l'hôtel, nous la retrouvons et nous dirigeons vers un café chic pas loin pour papoter.
Très classe, la nana. Regard droit, tailleur noir et discours très sur; elle pose un blackberry sur la table (comme je n'en avais jamais vu, elle s'est empressée de me le montrer et de me laisser jouer avec), l'image même du succès à la Singapourienne, une fille pas particulièrement belle, mais au succès rayonnant, et après les présentations (Ah vous êtes armateurs!) et un peu de brosse à reluire (Racontez-moi ça!), elle rentre dans le vif du sujet.
Parce que c'était un rendez-vous d'affaire.
"Connaissez-vous Amway?", commence-t'elle. À côté d'elle, notre ami s'est adossé au fond du canapé. Il a déjà entendu le speech. "C'est une des plus grosses boîtes de FMCG (produits de grande consommation) au monde, et elle vend entièrement sans boutique." On recrute des vendeurs direct et on touche un pourcentage sur tout ce qu'on vend, mais aussi sur tout ce que vendent les personnes qu'on a recrutés. Il s'agit donc d'exploiter des gens pour vendre à d'autres des produits dont ils n'ont pas besoin. (J'y reviens plus bas)
Je n'irai pas plus loin. nous avons écouté très poliment, sur Radio Second-Degré.
C'était en fait à la fois très intéressant, puisqu'il s'agit apparemment de l'arrivée d'Amway et des schémas de vente directe au Vietnam (je suis bien sur qu'il y en a déjà, j'en ai croisé une fois par le biais d'une copine de ma femm), donc une opportunité de premier ordre de voir comment la bête naît et croît, et à la fois un peu amusant de voir finalement à quel point ses premiers pas au Vietnam sont mal assurés.
Tous les outils étaient réunis: l'image même du succès, on a parlé du tailleur noir et de la jupe droite, mais il y avait aussi un superbe scooter et un stylo Mont Blanc (l'apanage du succès matériel); l'arrivée impromptu du faire-valoir, sous la forme d'un très jeune et très sympathique businessman en chemise (chic et cool, très bon anglais, succès social) qui descendait de l'avion avec un jeune espoir du Nord pour sa formation (on a les moyens de prendre soin de vous et de vous former). Il y a eu les catalogues de produits en papier laminé 300 grammes, la documentation sur comment monter un réseau et les schémas de rétribution, et même un catalogue des têtes du système, qui sont devenus millionnaires en vendant NutriLite. Tout ça pour nous donner envie d'être comme eux: beau, dynamiques, sur la pente ascendante...
Tout ça, bien sur, pour nous recruter comme distributeurs Tupperware des produits Amway.
Je passe sur le clinquant de l'image et sur les pages entières de beaux imprimés pour présenter les différents grades de vendeurs ("es-tu bronze? Moi je suis double-bronze! Ah mais je travaille pour Set Valy (j'ai volontairement caché son nom), qui est diamant! Peut-être même double-diamant" si si, comme ça, autour d'un café), je passe sur la pauvreté de l'offre d'Amway comme elle est passée dessus, parce que ce qui la concerne, c'était son succès et nous montrer comment faire pour avoir nous aussi les moyens d'afficher son affluence.
Là où le cric me croque, c'est le décalage très marqué entre le discours de la demoiselle et finalement qui elle est au fond. Elle a un diplôme universitaire, elle a travaillé 10 ans dans une grande boîte d'audit (j'aurais pu la croiser, j'ai été leur client) dont elle montre encore la carte de visite au premier rendez-vous; elle a graffité un organigramme sur une serviette en papier, et c'était une pyramide à une seule branche ("Tu comptes pour moi"). Finalement, elle avait elle aussi besoin de se rassurer en se donnant un statut et en le regardant avec recul (essayez, c'est pas si facile). Elle est chargée par Set Valy (qu'on nous a montré dans le catalogue des succès, en dernière page) de monter son réseau au Vietnam, elle cherche des francophones parce que lui-même est Français, et elle cehrche donc d'urgence ses lieutenants. "Vous serez sous moi". (pas vexé, on a vu pire comme boss)
Pas mal besoin d'une structure, donc. Elle qui vient du monde de l'audit où les partners sont tout-puissants, et où être un jour partenaire est le rêve de tous les juniors, la voilà qui reconstruisait une structure et une hiérarchie --pas mal, dans une pyramide!
Elle s'est aussi trompée de cible. Tous les vendeurs double-diamants, couronne-de-diamants du catalogue étaient partis de jobs où ils vendaient leur sueur: un pharmacien et une maîtresse d'école; un dentiste et une pâtissière etc. Voyez, crient ces pages lustrées de catalogues de millionnaires, voyez d'où je viens et comment je m'en suis sorti! Ça s'adresse à ceux qui veulent échapper à une vie de labeur et sont prêts à se donner beaucoup de mal pour y arriver. Comment des gens établis pourraient-ils être tentés? Connaissez-vous ce film, la Poursuite du Bonheur, avec Will Smith? C'est exactement lui qu'elle devrait chercher: le gusse qui est prêt à tout pour s'en sortir, même à faire un job sans gratification, parceque dans Maslow il est au plus bas
En réalité, même notre hôtesse, toute Auditrice qu'elle eût été, n'a rien à faire vraiment dans cette affaire. Elle est à la recherche de statut, de liberté et de succès, et elle a plongé tout droit dans une boîte qui en donne une image tellement clinquante que sa carte de membre du réseau porte la devise, je vous le donne en mille: Freedom, Family, Hope, Reward (Liberté, Famille, Espoir, Récompense). Ça me donne un petit pincement au cœur de voir ce gâchis: une nana professionnelle, qui parle bien (et beaucoup!*), trahir sa vanité (personne n'est parfait), en travaillant dans de la vente directe (surtout ne disons pas pyramide!), et en y cherchant ce qu'elle n'y trouvera jamais: une structure (elle dessine un organigramme! --déformation d'auditrice), un statut ("Je suis bientôt diamant, enfin, d'abord argent, or et puis diamant...") et une aisance affichée ("...et surtout sur ce que vend mon réseau.").
Enfin, on sait que ça va se développer: ces systèmes de vente ne fonctionnent que sur la préconisation. Les produits qu'ils promeuvent ne peuvent pas être du dentifrice, parce qu'ils ne mettent pas l'argent dans la pub; pas des produits techniques ou à cycle de vie courts, parce qu'on ne maîtrise pas les durées ni les conditions de stockage; et finalement, leur seule notoriété est ce que vous en dit le vendeur. Ça doit donc être une recommandation personnelle: c'est bon pour toi! J'ai essayé et j'ai perdu trois kilos dans la nuit! Il s'agit d'additifs amaigrissants, de shampooings réjuvénateurs, de soins de beauté...
Et puis, l'entreprise est insaisissable, il n'y a aucune vitrine, aucune marque proclamée (oh si! En tête à tête!)**, donc aucun moyen de tenir ni un standard de communication ni une éthique de vente, autrement que par les réunions de leur propre réseau. Ces réseaux de vente "organiques" ont été impliqués dans nombre de scandales, mais à chaque fois le scandale est oublié, faute de coupable: qui mettre au pilori, quand c'est la faute d'un mauvais conseil? Pas l'entreprise. Le vendeur. Et qui le saura s'il y a des clients rendus aveugles par l'additif NutriLite? Personne. Il n'est connu que du vendeur et de ses relations directes.
Au bout du compte, notre commercial d'occasion ne réussira à s'affranchir du labeur qu'en recrutant et en formant à être des chiens de vente d'autres commerciaux d'occasion. L'éthique est secondaire, l'image est primordiale, le service au client est minimal (ne croyons pas un instant que les économies de réseau de distribution soient passées aux clients: le réseau mange plus de 70% du prix de vente).
Voilà donc arrivé au Vietnam le réseau de vente multi-niveaux. Quand on sait à quel point il est déjà difficile de tenir l'éthique sur des produits connus du public et disponibles à tous, on imagine avec quelle facilité les excès vont se développer dans la vente multi-niveaux vers des schémas pyramidaux!
Je recommande pour plus d'informations quelques saines lectures:
Wikipédia: Vente multi-niveau
BlogDei, pourquoi le Chrétiens Évangéliques devraient refuser (attention propagande chrétienne Ne convient pas aux bouddhistes!)
Wikipédia à propos des réseaux pyramidaux (extrait: les palliers multiples à propos du risque de dérapage pyramidal)
PrévenSectes parle d'Amway
* pas tant que moi, OK.
** c'est là que je ne suis pas d'accord avec Naomi Klein (_No Logo_): le logo est aussi un moyen de tenir une entreprise responsable.