La fête du Têt, le nouvel an vietnamien
Le 3 février, nous entrerons dans l’année du Chat (ou du Lapin, pour la Chine). Pour les Vietnamiens, le passage au nouvel an chinois est l’occasion d’une célébration particulière, la fête du Têt, au cours de laquelle les esprits des ancêtres reviennent sur terre le temps d’une unique journée. Au Vietnam et partout où réside sa diaspora, on fête l’événement à grand renfort de fleurs, de pétards et de banh chung. Petit tour d’horizon du nouvel an vietnamien…
Des chiffres et des bêtes
Le rythme de la Lune
La plus grande fête du calendrier
Les âmes des ancêtres
À faire et à ne pas faire
Chat ou lapin ?
Pour en savoir plus
:: Des chiffres et des bêtes
Depuis la nuit des temps, les Vietnamiens (inspirés des coutumes chinoises) et de nombreux peuples d'Asie (influencés aussi au cours de l'histoire par les traditions de l'Empire du Milieu) ont pris l'habitude de calculer le temps qui passe selon un calendrier lunaire basé sur l'astrologie chinoise. D'après celle-ci, les années sont identifiées par des noms d'animaux réels ou mythiques (cochon, rat, chien, cheval, serpent, dragon…) et non par des numéros (2009, 2010, 2011…), comme c'est le cas en Occident.
Difficile d'imaginer deux traditions si différentes, et pourtant l'Extrême-Orient et l'Occident ont un point commun : la sempiternelle référence aux astres. Quoi de plus sûr que des astres ! Ceux-ci ne sont-ils pas la garantie de l'immensité du Temps ? Même Jules César fit réviser le calendrier romain par un astronome qui établit le calendrier julien, utilisé jusqu'en 1582, date à laquelle le pape Grégoire XII le corrigea donnant naissance au calendrier grégorien. C'est ce dernier que l'Europe, puis le Nouveau Monde ont adopté avant de le transmettre au reste de la planète, Chine et Vietnam inclus.
C'est ainsi qu'aujourd'hui des pays d'Extrême-Orient, de tradition bouddhiste, ont adopté le vieux calendrier grégorien universel qui s'est superposé (sans l'exclure) au vieux calendrier chinois. Les deux calendriers cohabitent aujourd'hui sans heurts, comme le ying et le yang, en somme. On peut le dire : le premier est technique et pratique, le second est culturel et spirituel. Ils se complètent bien. Même si le 1er janvier est fêté à Pékin comme à Paris, à Hanoi comme à Madrid, le vieux calendrier chinois est toujours respecté et honoré quelques semaines plus tard. Cette année le nouvel an chinois sera fêté le 3 février 2011. Pour les joyeux fêtards, voici l'occasion de célébrer deux fois le nouvel an !
:: Le rythme de la Lune
Ainsi le 2 février 2011, à minuit, des millions de Chinois, de Vietnamiens, et d'Asiatiques vivant en Asie ou éparpillés dans le monde fêteront ce changement. Au Vietnam, on célèbrera l'entrée dans l'année du Chat, un animal symbole d'intelligence, dit-on. Dans le zodiaque chinois, il s'agit de l'année du Lapin. Le 3 février sera de toute façon le premier jour de l'année (chinoise et vietnamienne). Tous les Asiatiques suivent-ils cette coutume ? Non, les Laos et les Khmers obéissent à un autre calendrier.
Pour affirmer leur identité, les Vietnamiens ont personnalisé ce nouvel an chinois, en l'appelant le nouvel an vietnamien. Celui-ci, calqué sur la coutume chinoise, est l'occasion d'une très grande fête, la plus grande fête qui soit dans le calendrier du Vietnam. Elle commence avec la première lune, quand le soleil pénètre dans le signe des Poissons, soit entre le 20 janvier et le 19 février. Chaque année la date change, sans jamais sortir de cette limite.
Au Vietnam, la fête du Têt marque également l'arrivée du printemps, d'où son nom vietnamien qui signifie « fête de la première aurore ». Aujourd'hui comme autrefois « pauvres et riches s'arrangent pour suspendre leurs travaux habituels et s'adonner aux réjouissances ».
:: La plus grande fête du calendrier
Les Vietnamiens en profitent pour prendre leurs vacances à ce moment-là : trois jours fériés, mais beaucoup prennent une bonne semaine (et même plus). À Saigon, à Hanoi, à Hué, partout, les bureaux de l'administration ferment leurs portes, les hôtels affichent complet, les transports publics sont noirs de monde. Le premier jour du nouvel an vietnamien s'accompagne de pratiques particulières. Dans les pagodes, du santal brûle dans les encensoirs.
À Hanoi, à Saigon, à Paris (dans le quartier asiatique du 13e arrondissement), à San Francisco, les curieux peuvent admirer la procession du dragon. Fait de carton et de tissu rouge (une couleur bénéfique), le corps de cet animal mythique vénéré en Asie (il est symbole de force et de puissance) peut mesurer jusqu'à 40 m de longueur. Il est souvent porté par un groupe d'hommes dont on ne voit que le bas des jambes. Pas de nouvel an chinois ou vietnamien, sans cette danse du dragon.
La fête du Têt est le grand moment de l'année vietnamienne, le seul, selon la tradition, où les âmes des morts reviennent sur terre. Pas question de rater pareil rendez-vous avec les esprits des ancêtres. Les vivants doivent impérativement être présents pour les recevoir dignement, debout devant l'autel des ancêtres, l'air grave si possible. Dans chaque maison vietnamienne (ou appartement), dans chaque village, l'autel des ancêtres constitue le centre de gravité spirituel de la famille, du clan, de la lignée. Il consiste en un meuble plus ou moins important, où sont exposées à longueur d'année quelques photos des parents défunts (parfois jusqu'aux arrière-arrière-grands-parents), des bâtonnets d'encens, des coupelles contenant des fruits et des objets chers aux défunts. Plus la famille est aisée, plus l'autel est imposant.
Dans certains villages, les villageois se cotisent pour édifier une maison dédiée au culte des ancêtres, ouverte à l'ensemble de la communauté (nos ancêtres les Romains n'avaient-ils pas aussi une pièce spéciale consacrée aux dieux lares et aux ancêtres ?). Un voyageur français le notait déjà vers 1875 : « L'Annamite n'a qu'une seule croyance, une seule foi : son véritable culte est celui des ancêtres dont les mânes veillent sur sa famille et la protègent. Le renouvellement de l'année est célébré par une grande fête, dont les morts sont l'unique objet ».
:: Les âmes des ancêtres
Bien que vivant hors du temps, les ancêtres sont ponctuels : l'heure c'est l'heure. À minuit pile, dans la nuit du 2 au 3 janvier 2011, leurs âmes arriveront sur terre. Leurs descendants doivent préparer au mieux leur accueil. Les maisons doivent être soigneusement rangées, les pièces balayées, les meubles dépoussiérés. Des longs papiers rouges avec des caractères noirs sont souvent accrochés à l'extérieur pour égayer le décor. Rien n'est trop beau pour recevoir les âmes des ancêtres. Pendant longtemps, les Vietnamiens faisaient exploser en rafale des pétards pour chasser les mauvais esprits. Cette pratique n'a pas tout à fait disparu, bien qu'elle soit officiellement interdite par le gouvernement vietnamien en raison des nombreux accidents mortels survenus dans le passé.
À défaut de pétards, il reste les fleurs. Avant et pendant le Têt, les marchés débordent de fleurs. Les plus achetées sont au Sud les branches d'abricotier (canh maï) aux fleurs jaunes, et au Nord les branches de pêcher (canh dào) aux fleurs roses. Les familles se réunissent à la maison. Les parents, les proches et les amis se rendent visite. Les femmes confectionnent le banh chung, un délicieux gâteau de riz gluant, garni d'une farce composée de viande de porc, de haricots écrasés, le tout arrosé d'une sauce de soja ou de nuoc mam, la sauce nationale à base de saumure de poisson.
:: À faire et à ne pas faire
Le jour du Têt, il y a des choses à faire et d'autres à éviter, question de croyance et de superstition. La première personne qui franchit la porte d'une maison ne doit pas être n'importe quel bon à rien, mais une personne agréable, sympathique et fortunée si possible, car celle-ci apportera prospérité et bonheur au foyer visité, pendant les 365 jours qui suivent. Si on frappe donc chez vous le 3 février à l'aube, demandez bien qui est là avant d'ouvrir. Si c'est votre pire ennemi, celui qui a tout raté et vous porte la poisse, n'ouvrez surtout pas !
D'autres conseils encore : évitez de vous quereller et de jurer. Pour les couples au bord de la crise de nerfs : il est interdit de casser de la vaisselle surtout si celle-ci est de la porcelaine de Hué !
:: Chat ou lapin ?
Alors que la Chine et le Vietnam, deux pays voisins, partagent les mêmes signes astrologiques du zodiaque (il y en a 12 au total), un seul n’est pas commun aux uns et aux autres : le lapin. Les Vietnamiens fêtent cette année la nouvelle année sous le signe du Chat tandis que les Chinois honorent le Lapin. Pourquoi cette différence ? L’origine est un glissement sémantique qui s’appelle homophonie. En chinois, lapin se dit : “mao”. En sino-vietnamien, il se dit ”mueu”. Et en vietnamien, le mot mao ressemble étrangement par sa sonorité à “meo” qui signifie chat. Ainsi le lapin chinois devient-il le chat vietnamien, dans la famille astrologique. Lapin et chat ont en commun d’avoir de belles oreilles et une fourrure agréable à caresser, hormis cela tout diffère entre eux.
Dans les deux cultures, la vietnamienne et la chinoise, le chat est considéré comme un animal plutôt bienfaisant. C’est pourquoi il figure en bonne place dans l’astrologie vietnamienne, aux côtés du chien, du singe et du rat. Bien que le chat soit d’une grande souplesse, il reste un petit félin mystérieux, et se montre parfois sournois, contrairement au chien, franc et loyal. L’imagerie populaire satirique vietnamienne fait du chat l’emblème du mandarin : un animal qui semble au-dessus des réalités terrestres, affichant parfois une certaine distance par rapport au monde et aux hommes qu’il regarde de haut et de loin…
Les bouddhistes apprécient peu le chat, animal sournois, et ne l’aiment pas autant que la tortue, la licorne, le phoenix et le dragon, les quatre animaux sacrés du bouddhisme. Les croyants de cette religion lui reprochent d’avoir été le seul avec le serpent à ne s’être pas ému de la mort du Bouddha. Mais pour certaines personnes, l’attitude indifférente et méfiante du chat ne serait pas un signe de mépris de l’humanité mais une preuve de détachement et donc de sagesse supérieure. En Europe, au Moyen Age, les chats étaient souvent redoutés car associés à la sorcellerie et au diable. Aujourd’hui, tout a changé, le chat est considéré en Occident comme l’animal domestique préféré des familles. Miaou miaou !
Olivier Page
Photo : Philop
Mise en ligne le 24 janvier 2011
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